Le tourisme d’aventure peut-il revendiquer d’appartenir au secteur du tourisme responsable ?

Le tourisme d’aventure peut-il revendiquer d’appartenir au secteur du tourisme responsable ?

En dehors des offres émanant d'opérateurs de taille artisanale et de quelques voyagistes restés indépendants, et après 25 années passées dans ce milieu, ma réponse est clairement non. 

Voici factuellement pourquoi, au travers d’un petit historique se voulant utile aux jeunes, et aux personnes extérieures au secteur d’activité.

©Photo Jean-Pierre Lamic – Essendilène 2003 - Dernier circuit encadré dans le désert...

 

Parce que : " Je n'appartiens pas à une terre, mais à une histoire, dont je dois connaître le début ... ". Voici :

1974. Première traversée Tamanrasset ‑ Djanet réalisée par Odette et Jean-Louis Bernezat (Hommes et Montagnes).

C’est le point de départ qui permettra à de nombreux Touaregs de vivre de - et dans leurs déserts - et favorisera de nombreuses amitiés entre guide français et guide local (binôme) sur de multiples territoires.

1976 : Création de Terres d’aventure et d’Explorator.

1979 : Instauration du diplôme d’accompagnateur en montagne et fondation du Syndicat National (SNAM).

1985 – 1990 : Création de nombreuses agences d’aventure.

1997 : Club aventure supprime le guide de Haute montagne sur le Kilimandjaro. Action décidée pour réduire le prix de vente de 1500 à 2000 Francs.

Les autres agences emboitent le pas.

Ce fait marque le début de l’industrialisation du secteur.

Pourtant les principes suivants, toujours en vigueur, énoncent :

Voyageurs Français participant à un séjour vendu en France = responsabilité du voyagiste.

Accompagnement en milieu montagnard, séjour organisé et vendu en France = obligation d’être effectué par un accompagnateur en montagne diplômé.

Les autorités laissent faire, les Syndicats semblent impuissants ; parfois ils sont dirigés par des guides-accompagnateurs travaillant encore pour ces agences...

À partir de cette date, Les guides de Haute montagne sont évincés de la plupart des destinations.

Ils cherchent les moyens de commercialiser leurs séjours par eux-mêmes.

L’association SERAC le leur permet, ainsi que d'autres structures de nos jours.

1998 – 2000 : Je vis à Cuba et en Équateur, j’y crée 6 voyages qui seront en brochure début 2001.

Je ne suis pas déclaré, comme mes collègues du Pérou et d’Équateur.

Aujourd’hui, cela nuit gravement à nos futures retraites.

1999 : Un guide non diplômé (un étudiant) conduit un groupe de Nouvelles Frontières sur l’Altar (Équateur) en pleine tempête de neige. Le pire est évité de justesse.

2001 : Daniel Popp, fondateur de Terres d’aventure abandonne le secteur et vend son entreprise, n’approuvant pas ces mutations.

Elle comptait à l’époque 20 000 clients et 55 salariés.

Depuis les guides-accompagnateurs sont majoritairement employés avec des CDD ou sous portage salarial (pour qu’ils ne puissent pas réclamer de CDI ; s’exonérer des charges patronales, et transférer les périodes d’inactivité aux ASSEDIC (donc au contribuable).

Ils sont, en outre, évincés des destinations qu’ils ont apportées aux agences petit à petit, excepté dans le Grand Nord où les emplois coûtent plus cher.

Réveillon 2001 : Mort d’un participant et d’une employée dans une avalanche à Naves (73) dans le cadre d'une sortie en raquettes.

L’agence n’a pas vérifié si le guide (diplômé) disposait de DVA (coût d’un appareil supérieur à 200 euros - Avec 7 personnes,  l'investissement  est impossible à réaliser par un accompagnateur pour une sortie de deux jours).

L'accompagnateur a assuré le remplacement de celui qui était prévu. Il a dû assumer l'entière responsabilité.

L'employée était sa compagne.

Deux ans plus tard, l'agence me demandait si un Turc, né et élevé aux Mureaux, sans aucune connaissance de la raquette à neige pouvait encadrer seul le séjour que je venais de créer à mes frais en Anatolie : Raquettes Cappadoce -Taurus...

 

2003 : Fermeture du Sud algérien suite à une prise d’otages de 32 voyageurs allemands.

Les agences réceptives sont abandonnées. L’une d’elles installe 22 véhicules tout terrain sur cales.

Fin 2016, ils n’avaient pas bougé.

Les agences d’aventure se replient massivement sur l’Europe (Grèce, Sicile, Croatie, etc).

2004 : Création d’une association composée exclusivement d’agences d’aventure revendiquant pratiquer le tourisme responsable.

Aujourd’hui elle s’est ouverte à des opérateurs industriels.

Fin 2004, lancement des gammes de séjour « randonnée en liberté » qui permettent de vendre des séjours à l’autre bout du monde sans médiateur.

Pourtant la médiation est un caractère essentiel à l’écotourisme et au tourisme se voulant durable.

Cette activité lucrative repose pour partie sur un accaparement d’itinéraires conçus par des guides-accompagnateurs (notion de droit d’auteur bafouée).

2007 : Lancement des trophées du tourisme responsable.

Un voyagiste d’aventure suivant les principes de l'industrialisation en cours du secteur est primé dans la catégorie tourisme équitable et solidaire…

La même année, je le quitte pour son manque d’éthique.

Peu de temps après il fera paraitre une annonce recherchant quatre stagiaires pour assumer les tâches de chefs de produit (de secteur).

2007 : Des touristes français sans agence sont attaqués le 24 décembre 2007 en Mauritanie, et le 27 décembre la base militaire d'El-Ghallawiya (au Nord du pays), subit une attaque au cours de laquelle trois militaires mauritaniens sont tués.

Ces faits se déroulent dans des zones très éloignées des territoires utilisés par les agences de trekking.

Le Groupe Voyageurs du monde se retire de la Mauritanie, justifiant son choix dans un article publié dans Le Point.

Hommes et Montagnes, Les Matins du monde et d’autres soutiennent la destination.

En septembre 2008, le désert mauritanien qui a été chartérisé par un seul opérateur depuis plusieurs années, à la fois affréteur et voyagiste - fait occasionnant d’importantes sur fréquentations - est abandonné par l’affréteur suite à une embuscade à Tourine. 

Cette décision génère une vive réaction de la part de la Fédération Mauritanienne du tourisme.

La Mauritanie est abandonnée à son tour, suivront le Mali, Le Niger et le Burkina Faso.

2008 : Création d’un label certifié par L’AFNOR . Il avalise l’abandon du guide diplômé, y compris en montagne, valorisant uniquement l’appartenance à la Région (sans plus de précisions), et des groupes de 15 personnes (rencontres avec les habitants rendue impossible par le nombre).

Ci-dessous, le voyagiste Hommes et Montagnes disparait au sein de Voyageurs du Monde, qui rachète la marque et abandonne ce qui constituait sa différence : Des voyages lents et plus longs que les 8 jours chartérisés proposés par la concurrence.

 

2001– 2022 : Rachats multiples d’agences d’aventure et constitution de deux groupes financiers :

1 – Voyageurs du monde : Déserts, Comptoir des Voyages, Terres d'Aventure (2001), Nomade aventure (2005), Grand Nord Grand Large (2007), Mer et Voyages (2010), La marque Hommes et montagnes (2011), Chamina Voyages (2011), Allibert trekking (2012), Eurofun group (voyages à vélo - 2022).

2 – Altaï groupe : Atalante (Terra-Incognita – Origins – Cheval d’aventure -), Huwans (Club-Aventure), 66° Nord, Kandoo.

Le secteur inclut également L’UCPA (association) qui a racheté la Balaguère.

2011 : Publication du Magazine Que choisir : « Tourisme d'aventure, sur la piste du profit ».

Un paragraphe s’intitule : « On rogne sur la qualité ».

Il montre comment on diminue les postes de dépense face à l’obsession du prix.

Le premier poste à en souffrir est celui des guides.

2012 : Une agence spécialisée sur le Grand Nord est épinglée pour employer des stagiaires rémunérés 400 euros / mois pour encadrer des séjours aux Îles Lofoten.

2014 : Un collectif de guides obtient l’abandon du label certifié par l’AFNOR, après maintes démarches.

2015 : Ecocert crée un nouveau label aux critères basés sur de bonnes intentions.

Aucun engagement précis n’est requis.

Notons qu’en 2010 le Comité d’experts de V.V.E, sollicité par Ecocert avait émis l’avis suivant :

Il n’est pas concevable de labelliser des gammes de voyages.

Un label sérieux repose sur la labellisation de produits uniques, pouvant être évalués.

2016 : Décès d’un client de Terres d’Aventure au Kilimandjaro au cours d’un circuit encadré par un guide local. La famille de la victime porte plainte.

Novembre 2016 : Mort accidentelle de Pascal Lluch, pionner du voyage d’aventure (Hommes et Montagne).

Il perd la vie en voulant sauver deux clientes de la noyade. (Fait rappelant que le voyage d’aventure n’est pas sans risques).

2019 : V.V.E décrit les conséquences de la standardisation du voyage d’aventure, notamment en citant le cas d’un client blessé, abandonné au Sri Lanka par son guide local.

Depuis 2020 : Communication à propos de la compensation carbone : Tandis que les voyagistes d’aventure n’ont pas modifié leurs programmes, par conséquent n’ont pas tenté de limiter leurs émissions de CO2, proposant une majorité de circuits France-France en 8 jours – 6 jours sur place, s’opère une communication tous azimuts à propos de la compensation carbone.

Les voyages d’aventure seraient entièrement compensés :

La plantation d’arbres devient le principal argument marketing.

2021 : Création du groupe Altaï Travel, suite à l'instauration et aux rachats multiples d’agences réceptives. (28 à ce jour).

L'argument marketing du guide local est substitué par celui de l'organisation de séjours sans intermédiaires.

2022 : Une agence d’aventure est primée (Trophées Horizon) pour proposer des séjours en train en Europe.

L’agence affiche 95% de clients satisfaits, chiffre inexact, tant par les avis postés sur Internet (75 % ) que parce que des commentaires négatifs sont retirés (par exemple : 9 d'entre eux pour le même voyage à Cuba en 2018).

Elle communique sans retenue à propos de son engagement pour un tourisme… durable, avec 1 398 séjours proposés à travers le monde (pour 35 en train…).

2022 : Altaï rejette ma demande d’indemnisation des périodes non déclarées entre 1998 et 2000 - adressée via un avocat -, faisant fi du passé (et du passif) des agences et guides ayant produit sa valeur actuelle.

En résumé :

L’abandon des guides diplômés et des binômes historiques (dixit Que choisir) a conduit à une baisse de qualité, et à la concentration des offres sur les espaces utilisés par l’ensemble des agences.

L'unique qualification de nombreux guides locaux étant celle de parler français.

L’utilisation de charters, et des mêmes territoires par l'ensemble des voyagistes, produisent des sur fréquentations.

L’usage d’agences réceptives, sans représentant du voyagiste, ne permet pas de contrôle sur l’ensemble des maillons constituant le voyage vendu au participant.

Les émissions de CO2 ne sont pas limitées.

La concurrence génère la course aux incontournables, ce qui produit plutôt une augmentation de celles-ci.

Les guides-accompagnateurs, après avoir dû se réorienter touchent ou s’apprêtent à percevoir des pensions de retraite misérables en raison des périodes de travail dissimulé et du cumul de contrats intermittents.

C’est pourtant à partir de leurs savoir-faire que le secteur du tourisme d’aventure a pu vivre un extraordinaire essor entre 1976 et 1997…

Ce tourisme-là peut-il être qualifié de responsable ?

≠TourismeDurable - ≠TourismeResponsable - ≠Greenwashing - ≠Trekkings - ≠VoyagesAventure - ≠TourismeDAventure

 

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Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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