Les mécanismes utilisés par les acteurs du greenwashing

Dans le débat actuel concernant le tourisme durable, les tourismes solidaire, équitable, responsable… tout le monde sent bien qu’il existe un profond malaise.

La raison première de cette sensation, est que l’émergence de ces formules dévalorise de fait, les pratiques plus anciennes d’un tourisme respectueux qui se passait de ces terminologies ronflantes.

Au sein des Parcs nationaux en Espagne, par exemple, il n’a pas fallu attendre ces termes « tendance » pour se préoccuper des solutions à imaginer, comme la prise en compte de la capacité de charge (ou d’accueil) d’un lieu, la répartition des flux touristiques, ou la médiation à l’environnement.

Ci-dessus : ©Photomontage : Corinne B

Eléments fondamentaux, qu’aucune de ces formes de tourisme faisant l’objet de multiples communications ne semble pourtant reprendre à leur compte, ce qui est normal dans un contexte où la gouvernance est inadaptée, les spécialistes, non identifiés, les budgets non prévus, etc.

En outre, les acteurs prétendant représenter ce secteur remettent très peu en cause leurs propres pratiques.

 

S’agissant du tourisme solidaire, le risque majeur est de multiplier les actions, type « mesurettes », et de les juxtaposer, favorisant au passage des jalousies, des rancoeurs, ou l’émergence de potentats locaux.

Le risque que se développe une forme d’assistanat est également important.

Concernant le tourisme équitable, les déviances possibles sont assez similaires.

Quant aux acteurs prétendant œuvrer en faveur d’un tourisme responsable, ils semblent détenir toutes les vérités, tandis qu’ils évitent d’évoquer les questions suivantes, pourtant primordiales :

Faut il continuer à prendre l’avion et utiliser des moyens de transport polluants ?

Et si oui, que faire ?

Ne rien faire (ce qui constitue le cas le plus fréquent), limiter ses émissions de CO2 en agissant sur la programmation (le plus « responsable » mais le moins répandu), ou les compenser (le plus « tendance », largement utilisé par les acteurs du greenwashing ?

Les hébergements utilisés sont-ils tous pensés de manière écologique et socialement responsables ?

Comment s’effectue le recyclage des déchets durant le voyage ou le séjour ?

Les rencontres sont elles fugaces, incluses dans un programme standardisé pour des groupes de taille importante, ou favorisées dans la durée avec un nombre de voyageurs limité ?

Quelle part des revenus du voyage revient réellement aux autochtones ?

Doit-on nécessairement être encadré pour voyager responsable ?

©Photo : MahayExpédition

Et pour les voyages encadrés, qui sera le mieux à même d’assurer l’encadrement ?

(De nombreuses agences privilégient les guides locaux en sous-traitant les prestations à des agences réceptives pour des questions de coûts et de décharge de responsabilité, mais combien d’entre eux sont formés, diplômés, et expérimentés ?

Aujourd’hui des intérêts économiques se mêlent à ces questions, comme par exemple le coût de revient de solutions que l’on sait être pourtant les plus responsables.

Adapter une structure d’hébergement à des normes écologiques génère un coût, comme la complémentarité guide local - guide diplômé qui représente l’agence sur place, assure le lien entre celle-ci et le territoire, et permet d’observer les éventuelles déviances sur le terrain afin de pouvoir y remédier.

Alors la tentation est grande de détourner la communication des vrais problèmes, justifier au moyen d’arguments fallacieux ses propres choix économiques, mettre en lumière des actes qui restent minoritaires.

Voici déterminés les trois mécanismes qui régissent ce qu’il convient d’appeler « le greenwashing ».

©Photo : Jean-Pierre Lamic

 

  • Détourner la communication des vrais problèmes :

Aujourd’hui, laisser croire qu’il suffit de ne rien jeter au sol, brûler son papier hygiénique, utiliser du gaz, ne pas photographier les autochtones, pour devenir un voyageur responsable accompli n’a plus de sens.

Si le voyageur en question prend l’avion, emprunte des véhicules tout terrain sans avoir limité ses déplacements, utilise les services d’agences délocalisées sans vérifier leurs engagements sociaux et environnementaux, visite des tribus autochtones au pas de charge et des groupes de taille importante, se rend en court séjour là où il « faut » aller et réalise une compilation des lieux présentés comme « incontournables » il ne peut guère se prévaloir d’être un touriste responsable.

Par ailleurs, communiquer sur la compensation des émissions de CO2 quand on est soi-même un gros Tour Opérateur permet de s’exonérer par anticipation de la responsabilité de ses actes. Parce que la solution la plus éco-responsable est d’essayer de limiter au maximum les émissions de CO2 que sa propre activité génère.

Et pour y parvenir il conviendrait en premier lieu de proscrire les voyages France-France en 8 jours qui constituent aujourd’hui l’offre principale des nombreux Tour-Opérateurs d’aventure, dont une bonne part communique sur le thème du tourisme responsable.

Ce qui supposerait d’avoir le courage de sortir de la concurrence à outrance qui conduit à vouloir présenter des programmes plus complets (et moins chers en diminuant la qualité) sur les mêmes territoires que les autres, et à l’inverse de concevoir des programmes plus longs, exclusifs, basés sur des déplacements utilisant ses pieds ou les transports en commun.

Notons cependant que la tendance sociétale depuis de nombreuses années n’est pas de voyager moins, plus longtemps, mais exactement l’inverse !

Sans compter que le nombre de voyageurs est partout exponentiel.

Alors, les voyagistes vont-t-ils transformer leur gamme de voyages, modifier leurs programmes et leur communication afin d’inciter réellement à l’inversion de la tendance ?

À ce jour, très peu d’entre eux ont emprunté cette voie, hormis des agences artisanales, qui, ayant fidélisé leur clientèle grâce à la qualité offerte, peuvent agir directement sur ces différents leviers.

©Photo : Jean-Pierre Lamic

  • Justifier au moyen d’un argumentaire fallacieux ses propres choix économiques

Laisser croire qu’il est éthique de supprimer les guides formés et diplômés au bénéfice de guides locaux, simples employés d’agences réceptives, constitue une tromperie utilisée comme un argument justifiant ce choix purement d’ordre économique.

Communiquer sur des actions ponctuelles de formation des guides locaux, relève de la même hypocrisie, puisque les guides locaux sont formés à plein temps lorsqu’ils travaillent en binôme. Les échanges dans ce cas sont d’ailleurs bilatéraux.

En outre, le binôme décharge les guides locaux de tâches annexes, souvent liées à la logistique, qui ne présentent aucun intérêt particulier pour eux.

Et, comment vérifier le sérieux d’une formation dispensée par un voyagiste dont le métier n’est pas celui d’enseigner, mais de vendre des séjours ?

La concurrence sert perpétuellement d’argument :

L’autre est moins cher, alors…, le concurrent agit ainsi, donc nous sommes obligés d’en faire autant…

Il est tellement plus facile d’afficher cet argumentaire que de chercher à se démarquer !

©Photo : TransHumans

 

  • Mettre en lumière des actes qui restent minoritaires.

Lorsque des agences de voyages communiquent sur telle ou telle action en faveur d’une peuplade éloignée, le creusement d’un puits, ou la construction d’un écolodge, elles mettent en lumière des actes qui – le plus souvent - restent très largement minoritaires au sein d’une activité globale tournée vers la vente de voyages, s’inscrivant parfois dans ce qu’il convient d’appeler le tourisme de masse.

Notons que par l’acte de communiquer sur ces questions, elles se placent sur le même registre que d’autres, petits opérateurs associatifs pour la plupart, qui œuvrent à temps complet et dans l’ombre au tourisme solidaire ou équitable.

Lorsque ces voyagistes affichent dans leur catalogue des mentions à ce tourisme alternatif sans en appliquer les principes pour plus de 90 % de leurs voyages, il s’agit de désinformation, orchestrée en connaissance de cause.

Cette désinformation génère le sentiment de frustration et le malaise que l’on note au sein des petites structures autour de la notion de tourisme responsable ou durable.

De plus, faire de l’humanitaire de manière ponctuelle sans coordination avec les autres ONG ou d’autres agences qui utilisent les mêmes territoires peut se révéler plus problématique que salutaire.

©Photo : Jean-Pierre Lamic

Conclusion

Le voyageur, ballotté entre ses réelles aspirations à voyager plus éthique ou solidaire et cette communication outrancière à propos du tourisme durable - conscient qu’elle ne reflète que peu d’engagements véritables, se demande bien de quels enjeux invisibles ou conflits d’intérêts, il est devenu l’acteur involontaire.

Il se doute bien également que la multitude de labels aux critères obscurs constitue l’un des moyens de le tromper.

Lorsque les médias, chaînes de télévision, magazines, abordent le sujet du tourisme durable, équitable ou solidaire, sans en connaître les principaux acteurs de terrain, ni même avoir défini les principes qui régissent ces activités, ils contribuent sans même en être conscients, à une forme de désinformation qui alimente le « greenwashing » savamment orchestré par ceux qui y trouvent un intérêt personnel.

Ils jouent, ainsi de manière indirecte, le jeu de ceux qui pratiquent cette nouvelle forme de marketing : le business éthique.

En France, une collusion, entre différents acteurs la pratiquant, s’est instaurée depuis une quinzaine d’années ; elle a pour but essentiel celui de favoriser certaines personnes y trouvant un quelconque bénéfice, associées à des voyagistes – généralement de taille importante.

D’où le profond malaise que génère la terminologie « tourisme durable » dans notre pays aujourd’hui.

La revue Espace vient même d’écrire qu’elle devenait une terminologie repoussoir pour être tellement galvaudée.

 

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Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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