Quand Daniel Popp prônait le Respect du désert

2002 fut déclarée Année internationale de l'écotourisme. 

Dans ce cadre, Daniel Popp, constatant de nombreuses dégradations dans le désert algérien suite à la reprise du tourisme d'aventure après 7 ans d'abandon de la destination, rédigea le texte qui suit.

Comme aujourd'hui, l'histoire se répète.., et  à l'heure de faire le bilan de 25 années d'industrialisation du tourisme d'aventure,  le Média du voyage durable publie ce texte oublié de tous, comme la Charte Respect du désert qui en fut issue.

Présentation par Daniel Popp

Cofondateur et ancien dirigeant, Agence terres d'aventure, France

"Le développement touristique en zone saharienne est-il antinomique du respect de la beauté et de la tranquillité de ses espaces vierges, de la vulnérabilité de ses écosystèmes, de la fragilité des témoignages millénaires de la présence de l'homme dans le désert ?

Cette question, les inquiétudes qu'elle entraîne, les alternatives possibles seront la toile de fond de mon intervention.

Pour tenter d'y répondre, un petit retour en arrière s'impose.

Une précision utile tout d'abord.

Ce que je nomme Sahara ou désert concerne dans le sud algérien les grandes zones de nature sauvage, isolées, non aménagées, et non les rives nord du même désert, régions d'oasis où routes goudronnées, infrastructures hôtelières et présence humaine sédentaire relèvent plus du domaine du tourisme traditionnel, à ne pas confondre avec le tourisme dit "d'aventure" auquel mes propos se réfèrent, bien que les deux puissent se recouper, nous le verrons…

 

Que venons-nous chercher au Sahara ? Sa beauté, sa virginité, sa solitude, uniques sur notre planète.

Quand on est randonneur, comme le sont mes anciens clients et moi-même, marcher dans le désert, c'est comme traverser une œuvre d'art où la moindre trace de voiture, le moindre papier, voire trop de traces de pas concentrées au même endroit, font tache.

Quand l'organisation du tourisme saharien se limitait il y a 25 ans à quelques spécialistes experts qui ne se marchaient pas trop sur les pieds, la situation était gérable.

Il y avait une vraie prise de conscience de la nécessité de respecter le désert, déjà en le laissant propre.

Rapporter ordures et déchets au point de départ dans un sac poubelle que nos chauffeurs en rigolant appelaient "le trésor", brûler le papier toilette, pour faire court, laisser le moins de traces possibles de notre passage, était une évidence sous forme de règles élémentaires que nos voyageurs et leurs accompagnateurs, nos prestataires locaux et leurs équipes avaient intégrées au fil des ans après bien des efforts de communication et de pédagogie, destinés à faire prendre conscience aux uns et aux autres que le désert dans sa pureté absolue est un milieu organiquement, culturellement et esthétiquement fragile.

Nous ne "fabriquions" pas des "produits", nous concevions des expériences à vivre… au demeurant rentables et porteuses d'emplois pour tous les acteurs concernés souvent issus du nomadisme.

Sans le savoir, avec nos amis sahariens nous "inventions" le tourisme d'aventure qui est l'enfant du désert et un peu "le grand frère" de l'éco-tourisme.

Les années passent, le succès aidant, un véritable marché se constitue au fil de l'expansion de l'offre et de la demande, les premières difficultés apparaissent.

Le Sahara a beau être immense, les plus beaux sites où se concentrent les voyageurs sont très localisés et ne peuvent supporter sans dommages à l'environnement, irréversibles à terme, un flux de voyageurs dépassant un certain nombre, notamment en périodes de vacances scolaires.

Une nouvelle évidence s'impose : trop de monde, aux même endroits, à la même période marque indéniablement la limite d'un développement touristique possible sur les sites naturels les plus fragiles, souvent les plus beaux, de la zone saharienne.

 À quoi bon rêver alors d'un tourisme de masse au Sahara quand, sur certains sites naturels l'impression péjorative de "masse" est parfois atteinte à l'échelle de quelques dizaines d'individus qui ne comprennent pas pourquoi ils bivouaquent si près les uns des autres !

 À l'échelle d'une saison, ces derniers mois l'ont prouvé, nous le verrons plus tard, quelques centaines de voyageurs mal informés, mal encadrés suffisent à transformer un éden minéral en décharge publique. En matière d'éco-tourisme il ne faudrait retenir alors du concept de masse touristique qu'une unité de valeur… à ne pas dépasser !

Soit un nombre limité, possible et raisonnable de voyageurs sur un site à un moment donné.

Mais comment l'apprécier ?

Chez les voyagistes et leurs prestataires, notons un autre facteur important d'évolution du fait de l'expansion du marché à la fin des années 80 : la concurrence, de plus en plus aiguë.

Son positionnement, souvent en quête du prix le plus bas pour élargir la clientèle préfigurait à mon sens l'ère actuelle de la charterisation du Sahara avec souvent une prestation locale de moindre exigence, notamment en terme d'encadrement dont nous allons maintenant tenter de mesurer les conséquences.

Tous les amis de l'Algérie ne peuvent que se satisfaire de la reprise du tourisme dans le sud. Pourtant, la façon un peu… débridée dont il a redémarré l'année dernière, la pollution que j'ai pu constater sur certains sites du Tassili du Hoggar en mars prouve un véritable problème depuis que deux vols charter qui ne sont pas seuls en cause, atterrissent à Tamanrasset.

D'autant que de nombreux témoignages provenant du Niger, de Libye, de Mauritanie, autres destinations sahariennes reliées par les charters et victimes également de la pollution touristique semblent corroborer le lien de cause à effet entre charterisation, standardisation de l'offre touristique et engorgement et dégradation des sites.

L'exemple du Tassili du Hoggar est intéressant pour illustrer les conséquences de ce que peut entraîner un développement touristique non maîtrisé et irresponsable.

Cette région située à 200 km au sud de Tamanrasset, l'une des plus belles au Sahara, a été isolée des flux touristiques pendant 7 ans jusqu'en 99 et avait donc retrouvé une certaine virginité, comme j'ai pu le constater en janvier 2000.

 

Vierge ? Pas tout à fait avec ces multiples traces d'anciens foyers de bivouacs touristiques dont les charbons de bois forment plein de petites taches noires inesthétiques sur le sable immaculé.

Si nous laissions le phénomène s'étendre sur les 30 ans à venir, imaginez le spectacle laissé à nos descendants !

Il suffirait pourtant de laisser brûler les braises pour qu'elles se consument et disparaissent aux quatre vents.

Rien de grave toutefois en comparaison du choc ressenti en mars 2001 quand j'ai retrouvé les mêmes sites transformés en poubelles en l'espace de trois mois depuis l'arrivée des premiers charters. Traces innombrables qui s'entrecroisent sur les plus hautes dunes de Tin  Akachaker respectées autrefois, transformées aujourd'hui en Luna Parc des sables, papier toilette non brûlé accroché aux rochers, aux touffes d'herbe, boîtes de conserve, tessons de bouteille, épluchures diverses, sol souillé par des bivouacs trop rapprochés, constellé de mégots de cigarettes, latrines sauvages malodorantes.

Jamais vu ça en 30 ans au Sahara ! Une invasion de barbares !

Avec quelques amis sahariens profondément choqués et soucieux de préserver leur patrimoine, nous avons pris conscience qu'il y avait péril en la demeure : nous devions agir avant qu'il ne soit trop tard. J'ai pris alors plusieurs initiatives : tirer une sonnette d'alarme auprès des autorités concernées - Ministère du tourisme, Maire et Wali deTamanrasset, Parc du Hoggar - alerter certains médias pour sensibiliser le public, adresser une lettre ouverte à mes anciens confrères en vue d'élaborer un projet de "Charte du désert propre" dans laquelle je leur proposais de s'engager collectivement :

  • À redéfinir précisément, respecter et intégrer à leurs organisations logistiques, si ce n'est déjà fait, des règles de traitement et d'évacuation de leurs déchets.
  • À faire face sérieusement et rapidement à des problèmes causés par l'engorgement inéluctable des sites.
  •  La gestion du hors piste sauvage qu'il serait sage de limiter à l'extérieur des zones fragiles quand il détruit à qui mieux mieux poteries néolithiques, ateliers de surface, végétation en survie et défigure le paysage souillé de traces.
  •   L'installation des bivouacs qui pourrait se faire à la proche périphérie des plus beaux "spots" (pour les laisser à leur virginité originelle), réservés ainsi aux balades à pied moins polluantes, tout en restant accessibles aux voyageurs.
  •  L'organisation des toilettes qui pourrait être gérée par chaque organisateur sous forme d'abri léger de toile à réinstaller à chaque bivouac.
  •   La pollution des charbons de bois des anciens foyers évoquée précédemment.
  • À former leurs collaborateurs (accompagnateurs, chauffeurs, guides locaux, cuisiniers) et les convaincre d'appliquer et de faire respecter les règles nécessaires.
  • À communiquer à leurs clients, dans les brochures et surtout sur le terrain, ces règles sur lesquelles je leur proposais de nous entendre.

 

Soit un début d'inventaire de ce que pourrait être une véritable attitude écotouristique en milieu désertique.

Cette action de sensibilisation a porté ses fruits.

La totalité des voyagistes spécialisés sur le désert s'est réunie au mois de septembre à Paris avec trois prestataires de Tamanrasset (agences Mero n'Man, Akar-Akar, 4X4 ) et une observatrice de l'UNESCO.

Une grande première dont malheureusement les attentats de New York et ses conséquences économiques ont refroidi quelque peu l'enthousiasme…

Une décision a été prise toutefois de rédiger un premier document collectif d'information aux voyageurs distribué normalement à l'ensemble des prestataires.

Quelques voyagistes plus exigeants, Atalante, Hommes et Montagnes, Horizons Nomades, Terres d'Aventure travaillent actuellement sur un second document plus complet, plus précis, ébauche d'un contenu possible pour une véritable charte pour le respect du désert.

Localement à Tamanrasset à l'initiative de l'UNATA une première mission de "nettoyage" a été effectuée sur les principaux sites pollués.

Les agences prestataires les plus sérieuses prenant conscience des conséquences fâcheuses  du "trop de monde, aux mêmes endroits, à la même période" décident de limiter l'anarchie du hors piste et de ne plus bivouaquer sur les "spots" les plus fragiles - Tin Akachaker, Tahaggart et à terme El Ghessour - pour en réserver l'accès à la découverte pédestre moins polluante.

Des signes positifs symbolisant pour la première fois à Tamanrasset et peut-être au Sahara, une amorce de prise de conscience collective de type écologique. Oui pour le développement… mais pas n'importe comment !

Maintenant que les premiers soins d'urgence ont été portés ou sont en cours, tentons d'éclaircir les causes de cette accélération brutale de pollution dont on retrouve trop de signes, un peu partout au Sahara pour ne pas s'en inquiéter

Passons dans un premier temps sur le manque de réglementation qui, s'il faut reconnaître qu'elle satisfait la soif de liberté des sahariens, laisse la porte ouverte a tous les excès de l'évolution du marché.

Incontestablement, grâce aux charters programmés hier ou aujourd'hui sur Gao, Atar, Agadez, Sebbha, Tamanrasset et Djanet, "l'aventure saharienne" se démocratise.

Mais dans quelles conditions et à quel prix pour l'environnement ?

On peut imaginer que l'initiative du Point Afrique, qui n'est pas seul en cause, je le rappelle, d'ouvrir depuis quelques années des lignes de charter permettant de rejoindre le cœur du Sahara, en quelques heures, pour un coût modeste, est une idée sympathique.

Désenclavement de certaines régions, promesses d'emploi, redistribution locale des ressources; on retrouve là les fondamentaux du "tourisme utile".

Là où le bât blesse, c'est quand le Point Afrique ne réalise pas qu'il joue parfois à l'apprenti sorcier en ne se limitant pas à sa vocation d'affrêteur, quand il propose à ses passagers des prestations terrestres souvent bricolées au moindre coût pour remplir coûte que coûte ses avions en complément des allotements pris par les voyagistes, quant il laisse croire au public, par des prix alléchants, sous couvert de tourisme utile et de discours démagogique, que n'importe qui, n'importe quand, sans aucune préparation, sans respect des règles nécessaires, peut désormais "consommer" du Sahara comme on passe une semaine aux Antilles ou aux Baléares.

Qui sont ces nouveaux voyageurs insuffisamment informés, mal encadrés, mal traités en définitive quand le cadre d'organisation locale choisi pèche, faute de professionnalisme vus les prix payés ?

Ces derniers mois, le marché tiré vers le bas semble attirer à Tamanrasset des touristes plus habitués au confort d'un hôtel qu'à l'intendance forcément spartiate d'un voyage dans le désert, rendue là encore plus sommaire vu les prix pratiqués.

Que de fois m'aura-t-on dit à Tam que ces nouveaux touristes à faible contribution pour l'économie locale sont 2 fois plus exigeants que les voyageurs sahariens traditionnels mieux informés, plus matures et nettement plus rentables !

Nouveaux touristes inadaptés au milieu, potentiellement mécontents et donc générateurs d'une image négative du pays, qu'il serait plus sage, dans une optique d'expansion du tourisme saharien, d'orienter vers le M'zab, le Gourara ou la Saoura dotées de routes goudronnées et de structures hôtelières correspondant plus à leurs attentes.

Pour peu que l'encadrement, choisi localement pour des raisons d'économie, n'assume pas son rôle de gardien et de communicateur pédagogue des règles de protection, faute de formation, d'expérience ou de développement trop rapide, on aboutit à la catastrophe décrite plus haut.

Dans le fond, il n'y a pas de mauvais voyageurs, il n'y a que des mauvais pédagogues.

Les comportements et dégradations constatés ne procèdent pas d'une volonté de nuire la plupart du temps mais d'un manque de prise de conscience et de maturité.

Reconnaissons que suite à ma lettre ouverte, Le Point Afrique a très honnêtement reconnu s'être trompé la saison dernière sur la capacité de son prestataire à gérer un tel flux de clientèle et s'est engagé à choisir des partenaires plus adéquats pour laisser le désert propre.

Des intentions sincères… qui ne l'ont pas empêché d'une saison à l'autre de multiplier par trois ses rotations et offres de circuits dans le sud algérien accélérant ainsi la surenchère au cycle infernal : rotations hebdomadaires sur toute une saison, standardisation et limitation des circuits possibles, sur engorgement et dégradation des sites.

N'y a-t-il pas d'autre régulateur possible à cette programmation "sauvage"… que les attentats de New York ?

Alors, l'avocat du diable pourrait avancer que tout cela est lié à l'effet de la demande, à l'évolution du marché, comme si on ne pouvait rien y faire !

Nous arrivons là au cœur du problème.

Est-ce au désert, à ses espaces vierges, ses éco systèmes, ses témoignages millénaires de s'adapter aux effets néfastes du développement aveugle de l'offre et de la demande… ou le contraire ?

La singularité saharienne n'implique-t-elle pas l'évidence que le droit à sa découverte est indissociable du devoir de son respect ?

Avons nous vraiment le choix ?

Si l'analyse du problème se limite cyniquement à son aspect mercantile, l'éventualité juteuse et  trompeuse d'un tourisme de masse saharien ne risque-t-elle pas de tuer à terme la poule aux œufs d'or, par ses dommages au patrimoine : notre capital, et l'image désastreuse qu'elle entraînerait ?

 À l'heure où les pouvoirs publics en Algérie viennent d'adopter 2 programmes de développement l'un relatif au tourisme, l'autre à l'aménagement du territoire et de l'environnement, l'alternative ne consiste-t-elle pas à "renverser la vapeur" et remettre le développement sur un rail respectueux et durable ?

Ces propos semblent rejoindre les conclusions de la Conférence Internationale qui s'était tenue à Tamanrasset en 1989 suite aux premières dégradations constatées.

Son objectif visait à tenter d'élaborer un projet pour une nouvelle forme de tourisme alternatif et durable au Sahara.

L'une des propositions, riche de perspectives pour la région et l'image du pays, visait même à établir à Tamanrasset un Centre International d'études et de formation pour un tourisme durable et responsable.

Hélas, tous ces projets passionnants sont restés dans les cartons du fait de la crise politique qui, dès 1992, allait suspendre le tourisme pendant 7 ans.

N'est-il pas temps maintenant de les réactualiser et de se mettre au travail tous ensemble, autour d'une table : voyagistes, prestataires, pouvoirs publics, responsables des Parcs, experts en environnement pour prendre les décisions qui s'imposent et consolider les initiatives et réflexions de ces derniers mois, règles à mettre en place, perspectives à long terme etc… ?

Entre le "laisser faire" historique, le "tout réglementer" des Parcs de Namibie (qui s'avèrerait nécessaire si la sagesse n'était pas au rendez-vous), ou pire : le "tout aménager" qui serait une catastrophe, une voie médiane reste à inventer.

Il se peut qu'elle se réclame de l'écotourisme, pour peu que ce terme ne se limite pas à un habillage marketing.

Elle se doit surtout d'être originale, créative et profondément respectueuse.

Quoi de plus symbolique et fédérateur pour l'ensemble des pays sahariens qu'un projet commun de "charte pour le respect du désert", reposant sur des expériences pilotes transposables à terme à l'ensemble des zones désertiques dont j'encourage vivement l'Algérie, pionnière et berceau du tourisme au Sahara, à prendre l'initiative dès que possible ?"

Texte ci-dessus : Daniel Popp 2002.

Qu'est devenue la Charte Respect du désert propre ?

Atalante et Terre d'Aventure se sont industrialisés... Hommes et Montagne et Terra Incognita, les plus engagés, ont disparu... , avec cette charte à laquelle plus personne ne fait référence..., pas même ceux qui prétendent agir pour un tourisme plus responsable ou durable depuis lors !

 

©Photos : Jean-Pierre Lamic - Essendilène 2003.

≠TourismeDurable - ≠SurFréquentations - ≠ActeursEcotourisme - ≠Ecotourisme - ≠RespectDuDesert - ≠TourismeEthique

 

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Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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