Retraites : Quand les saisonniers et professionnels de la montagne n’ont que faire de l’âge pivot !

Pendant que les personnes syndiquées s’arque boutent sur la revendication concernant la suppression de l’âge pivot, si chère à ce gouvernement,  ils sont des centaines de milliers à ne pas se sentir concernés.

Ce ne sont pas les habituels privilégiés : pilotes de ligne, stewards, hôtesses, conducteurs de trains, gendarmes, ou policiers…, qui ne l’atteindront pas !

 Non, ce sont les saisonniers et travailleurs précaires du secteur du tourisme… Corporation hétéroclite à laquelle j’appartiens depuis 40 ans !

En effet que signifie l’âge pivot pour celui qui ne touchera aucune retraite décente et devra continuer à travailler jusqu’à ce qu’il en soit capable physiquement ?, ce qui devrait être mon cas…

Un nombre marginal de concernés ?

L’emploi saisonnier, c’est comme pour les manifestations ! Vous avez le chiffre du nombre de saisonniers en France, officiel, lissé, policé : 700 000, et celui de la CGT, seule entité à s’intéresser un peu aux personnes qui représentent ce corps social : de 1,5 à 2 millions.

C’est également un sujet dont on ne parle jamais, sauf lorsqu‘un drame secoue ce petit monde fermé, comme à Courchevel l’hiver dernier.

Avec des acteurs transparents que vous ne retrouvez jamais sur les ondes ou sur les plateaux de télévision aux côtés des habituels représentants des routiers, enseignants, infirmières, ou assistantes sociales…

Pourtant, connaissez-vous une station de sports d’hiver ou de villégiature qui pourrait se passer de saisonniers ?

Ils constituent le facteur d’ajustement par excellence : plus de monde, on emploie plus de saisonniers ; à l’inverse, en cas de baisse de fréquentation, ils sont les premiers à en faire les frais.

Les emplois "saisonniers" se caractérisent à la fois par la non-permanence (durée limitée) et par la récurrence : l’activité à laquelle ils correspondent existe uniquement pendant une période de l’année et se répète chaque année à la même saison (cueillette, remontées mécaniques, etc.).

Ces spécificités justifient le recours à une modalité spécifique du Contrat à durée déterminée qu’est le CDD saisonnier.

Les salariés qui occupent ces emplois font ainsi face à la discontinuité de leur activité et de leurs revenus, voire de leur couverture sociale.

Ils peuvent relever, selon les emplois qu’ils occupent durant l’année, de plusieurs branches professionnelles et donc de plusieurs conventions collectives.

Ils sont souvent confrontés à des contraintes de mobilité géographique (saison d’hiver en montagne puis saison d’été sur le littoral) qui génèrent des problématiques de transport et de logement.

Ils sont faiblement syndiqués (1 % pour les salariés en intérim, 2 % pour ceux en CDD) et disposent de peu de possibilités pour s’organiser collectivement.

Enfin, lorsque les salariés sont recrutés en CDD saisonnier, la prime de fin de contrat (prime de précarité) n’étant pas due, amplifie la nécessité de mettre en place des dispositifs de sécurisation des parcours individuels.

Source : « L’emploi saisonnier : enjeux et perspectives » – Réseau emplois compétences – France stratégie.

 

La retraite des saisonniers et précaires

Concrètement, le saisonnier est un précaire, souvent peu considéré, mal logé, voire pas logé du tout !

À cela, il convient d’ajouter le fait que son rythme de vie se trouve être en marge de la société, et qu’il ne sait jamais à l’avance ce qu’il gagnera le lendemain...

Il travaille quand les autres sont en vacances, et vice et versa.

On lui réclame son dû à l’URSSAF, et en 2019 (nouveauté) à la CIPAV (Caisse de retraite) en novembre, quand il n’a pas travaillé depuis trois ou quatre mois, que c’est également la période pour s’acquitter des taxes foncières et d’habitation, et qu’il profite parfois de ses intersaisons pour s’éloigner de son domicile, donc de sa boite aux lettres...

Il est, en outre, régulièrement sujet à certains « oublis » concernant sa retraite...

Actuellement, une pétition en ligne dénonce le cas de 500 employés de la chaîne hôtelière Marriott – Meridien, ayant travaillé à l’étranger sans que celle-ci ne paye de cotisations pour leurs retraites !

Pour ma part, j’ai travaillé durant neuf années pour l’agence de voyages « aventure » Atalante, avec une centaine de contrats d’intérim (via une société de portage salarial) d’une durée d’un jour à trois mois…

Ou comment ce voyagiste a pu racheter successivement Cheval d’aventure, Continents Insolites, Terra Incognita, Origins, et créer Azoka, pendant qu’elle s’exonérait d’une bonne part de ses charges sociales, dont elle transférait la charge aux ASSEDIC, et à ses guides (celles-ci étaient déduites de leurs honoraires)…

Aujourd’hui, à l’heure de recevoir les prévisions pour ma retraite, la CIPAV qui regroupe l’ensemble des données me promet 546 euros / mois, pour 142 trimestres comptabilisés sur 41 années…

La pluriactivité n’y faisant rien, puisqu’après une saison de ski plus que remplie, avec 800 heures d’enseignement au cours d’un seul hiver (durant six années successives), mes emplois estivaux ou d’intersaison, ne me rapportaient aucun trimestre supplémentaire…

Quant aux emplois en Suisse avec le Club Med, bien que pour la plupart non déclarés dans ce pays à l'époque, ils ont été comptabilisés, à l’exception de l’année 1981 pendant laquelle je n’avais pas pu travailler normalement en raison de mon appel pour le service militaire… Quatre jours après avoir été réformé, je travaillais de nouveau…

Ne vous y trompéz pas !, si mon cas, constitue un intérêt, c’est uniquement parce qu’il est représentatif de milliers d’autres…

À l’heure des comptes, ces trois trimestres « oubliés » ont évidemment leur importance…

 

Qui se soucie de ces saisonniers-précaires et professionnels de la montagne ?

Intérimaires ou indépendants, ils sont sous-représentés, et, nous l’avons vu très peu syndiqués.

Pourtant, une part importante d’entre eux, ont pour obligation de s’affilier à un syndicat professionnel afin de disposer d’une assurance en Responsabilité Civile Professionnelle.

Il s’agit principalement :

  • Des moniteurs de ski des ESF (Syndicat National des Moniteurs du Ski Français), officiant pour les 250 écoles de ski françaises regroupant 17 000 monitrices et moniteurs de ski alpin, ou  de ski nordique.
  • Des 1 600 Guides de Haute montagne, affiliés pour la plupart au Syndicat National des Guides de Montagne (SNGM).
  • Des accompagnateurs en montagne, dont une majorité adhère au Syndicat historique : Le Syndicat National des Accompagnateurs en Montagne (SNAM), regroupant environ 2 500 professionnels,et dont une partie d’entre eux est affiliée à l’UNAM (Union Nationale des Accompagnateurs en Montagne.
  • Des membres du Syndicat Interprofessionnel de la Montagne (SIM) regroupant environ 700 adhérents répartis au sein des 3 professions ci-dessus mentionnées, appartenant aux diplômes d’État d’alpinisme.

 

Ces cinq  syndicats représentent près de 22 000 professionnels de la montagne, entretenant entre eux des relations plus que distantes…

À l’heure où il conviendrait de rentrer dans le débat et de se mobiliser afin d’obtenir une retraite honorable pour leurs adhérents, aucun ne s’est emparé du sujet… qui concerne pourtant l’ensemble de leurs adhérents.

Quand en quelques jours les policiers obtiennent l’ouverture de leurs droits à la retraite à 52 ans, un départ à la retraite à 57 ans pour reconnaissance d’une profession à risque, les routiers la possibilité de partir à 57 ans, les pilotes de ligne à 60 ans, les professionnels de la montagne, eux, demeurent les oubliés de tous, alors qu’ils exercent des métiers à risques !

 

Parlons pénibilité et dangerosité

Si le policier des rues est soumis effectivement à certains risques, qu’en est-il de celui des bureaux ?  Il en va de même concernant la question de la pénibilité.

De plus, en retour, ils possèdent la sécurité de l’emploi, ne connaissent pas les affres imposées par l’ex RSI, l’URSSAF, la CIPAV, et autres réjouissances imposées aux indépendants.

Question pénibilité, il semble que le pilote de ligne soit plutôt épargné, comme pour la précarité (salaire moyen d’un pilote : 115 000 euros / an).

Les hôtesses et stewards peuvent faire valoir des horaires décalés, des postures inconfortables, un contact pas toujours aisé avec les passagers, mais tout cela semble plutôt compensé par les salaires et la sécurité de l’emploi.

Du côté des professionnels de la montagne, il en va tout autrement : Ils sont soumis de manière permanente au risque inhérent à leurs pratiques.

Dans leur mémoire de Thèse (Unité Joseph Fourier – Faculté de médecine de Grenoble), Romain Ferlay et Cécile Radiguet de la Bastaie relèvent 286 accidents dont 70 entraînant la mort d’un guide, entre 2003 et 2013 (chiffres du SNGM).

Ils citent le chiffre de 4,35 guides décédés /an / 1 000 guides.

Concernant les non décédés, ils ont déterminé les conséquences : 22% de réduction du volume de travail, 33% de guides atteints dans leurs relations sociales ou familiales, et 57 % souffrant de problèmes financiers.

2015GRE15052_ferlay_romain_et_radiguet_de_la_bastaie_cecile(1)(D).pdf

Concernant les moniteurs de ski, aucun chiffre officiel ne circule quant aux décès en cours d’exercice.

Cependant, presque chaque année, les medias annoncent des drames les concernant, alors que le nombre total de personnes qui décèdent dans des avalanches ne dépasse pratiquement jamais les 40 par an.

Dans mon entourage proche, j’ai vu partir plusieurs de mes collègues au cours des 30 dernières années.

Par ailleurs, beaucoup d’entre eux ont des problèmes de genoux, de hanches, ou de dos (à force de relever leurs élèves, notamment les enfants)…, ce qui les oblige parfois à stopper leurs carrières et devoir trouver à se recycler.

Pour les accompagnateurs en montagne, si le risque d’avalanche existe, c’est surtout les chutes de pierres, éboulements, ou dévissages, qui les exposent au danger.

À cela, il convient d’ajouter la pénibilité due aux conditions climatiques extrêmes (j’ai pour ma part travaillé par -36° en hiver, et + 52° à l’ombre en été !).

Ces professions représentent également des métiers à forte responsabilité, car si le guide, le moniteur, ou l’accompagnateur se préoccupe de sa propre sécurité, il est également, et surtout, redevable (y compris pénalement) de celle de ses clients.

Enfin, d’autres métiers, tels que ceux de pisteur-secouriste, de cabinier dans les téléphériques d’altitude, ou d’électricien sur les pylônes des remontées mécaniques, sont également soumis à de forts risques, et à des conditions de travail difficiles.

La pénibilité et le danger, pour ces professionnels, font partie de leur quotidien…

 

Des retraités obligés de travailler

Alors, beaucoup de ces saisonniers et professionnels de la montagne doivent continuer à travailler…

Un collègue vient régulièrement renforcer l’équipe de moniteurs durant les vacances scolaires à près de 68 ans, un autre, âgé de 65 ans, vit dans son camping-car à côté de mon mobil home (que je vais devoir tenter de louer par nécessité), et de ma caravane (dans laquelle je passerai mes prochaines saisons)…

Cette question a été mise en lumière lors de divers procès :

En 2016, 30 moniteurs de ski saisirent le tribunal de Grenoble pour toucher moins de 400 euros par mois de retraite.

En 2011, cinq moniteurs de ski des Arcs 1800 ont assigné le SNMSF pour discrimination du fait qu’à la retraite, ils ne pouvaient continuer à faire valoir leur ancienneté pour la répartition du travail.

Du côté des accompagnateurs en montagne, l’amertume est grande également.

Car les responsables des agences de trekking créées dans les années 70 et 80, qui se sont enrichis sur notre dos avant de vendre leurs structures à des groupes financiers, ne sont pas non plus concernés par l’âge pivot…

Alors, que font ces Syndicats professionnels ? Les cinq déjà cités, et ceux qui concernent d’autres diplômes sportifs ?

Est-ce bien l’heure de continuer à s’entre déchirer ?

Quand 22 000 professionnels de la montagne et plus d’un million et demi de saisonniers attendent de pouvoir profiter un jour d’une retraite digne…

 

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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