IFOP : Que nous apprend le dernier sondage à propos du tourisme durable ?

Préambule :

Dans un article précédent, nous avons montré comment la première question posée par l’institut, au cours du sondage réalisé en mars dernier, incite à répandre l’idée qu’un tourisme plus vertueux serait obligatoirement plus cher.

Et pourtant, à l’inverse, il est généralement moins onéreux puisqu’il fait appel à moins de déplacements, moins de zapping, qu’il n’a pas besoin de luxe ostentatoire, et ne peut être organisé par de grands groupes déconnectés des territoires aux marges nettement plus importantes que celles nécessaires aux structures artisanales qui le portent…

Alors savoir combien de Français seraient prêts à payer plus cher pour voyager de manière plus vertueuse n’apporte aucun intérêt, puisque là n’est pas la question.

La question est : Combien de Français seraient prêts à changer leurs habitudes de consommation du voyage en général, de manière à diminuer l’impact de leurs vacances sur l’environnement SOCIAL (ce que l’on oublie généralement) et ENVIRONNEMENTAL

Ceci, non pas dans une approche restrictive, mais au contraire valorisante, offrant des expériences sensorielles uniques et épanouissantes, que le tourisme classique tel qu’il a été voulu - c’est-à-dire laissé aux mains de grosses structures faisant d’énormes bénéfices sans que ceux-ci ne soient redistribués sur les territoires d’accueil – n’est pas, n’a jamais été, et ne sera plus à même de proposer aux voyageurs.

Gageons que si l’on avait présenté le tourisme responsable de manière positive, et non pas comme étant forcément plus cher ou contraignant, les chiffres obtenus par ce sondage auraient été fort différents

 

Le bio et les produits locaux

Notons que concernant la question du prix, il semble que la communication réalisée autour du bio depuis des années, axée sur ce même principe du « payer plus cher » a porté ses fruits, et que les Français dans leur ensemble aient admis qu’un produit sain devait nécessairement coûter plus…

Dans ce sondage 61% seraient disposer à dépenser plus pour consommer des produits locaux…

Or ce n’est pas le cas des salades de pissenlits que l’on peut déguster au printemps, de la soupe aux orties aux vertus bien connues, ou des fruits que certains arbres ou arbustes donnent à profusion, parfois sans que cela ne nécessite de soins particuliers (cassis – groseilles – framboises, etc.).

Ce n’est pas non plus le cas de nombreux produits locaux, tel que le Beaufort dans les Alpes qui coûte moins cher (sur place) au kilo que la plupart des fromages vendus en supermarché, tout en étant en A.O.P…

Là encore, il ne s’agit que de marketing effectué au bénéfice des négociants…

 

Les hébergements

Il n’est pas compliqué de comprendre qu’un hébergement simple, ce qui ne signifie pas « sans confort » coûte moins cher qu’une résidence de luxe…, un Resort, ou un centre « écotouristique » pour bobos, ce que l’on essaye de nous vendre comme l’une des principales alternatives au tourisme d’aujourd’hui…

Voici un article paru dans Madame Figaro le 31 janvier dernier qui illustre avec forces ces propos…

Alors que 40% seulement des Français acceptent de payer plus cher pour leur hébergement signifie probablement et simplement qu’un grand nombre d’entre eux n’a pas encore opéré l’indispensable déconnexion entre l’idée du « confort » tel qu’il est marketé, et le réel plaisir de vivre des expériences au cœur des territoires…

 

Les moyens de transport

Dernier kilomètre manquant, voitures conçues à partir de solutions polluantes (oui, même électriques…), transport en commun défaillant, taxes sur les carburants, privatisation des autoroutes, etc., tout a été fait pour rendre les déplacements onéreux…, alors il est logique que les Français dans leur ensemble ne souhaitent pas dépenser pour les déplacements liés à leurs vacances (40% y consentiraient tout de même…).

Notons, en outre, que les compagnies de charters low-cost cassant les prix, ont dévalorisé un réel service, alors pourquoi payer plus cher si l’on peut aller une semaine à Djerba en dépensant moins que pour un séjour en France ?

Ici se trouve une grande part des enjeux du futur…

Quant au sondage IFOP, il nous abreuve de chiffres inutiles, puisque voyager de manière responsable induit de limiter ses déplacements, de les rationnaliser, les rendre plus vertueux, moins émetteurs de CO2, ce qui de fait les rend moins onéreux…

 

Que nous apprend la deuxième question principale du sondage :

« Toujours dans le cadre d’un prochain voyage, la préservation de la nature et de l’environnement constituent-t-elles pour vous des préoccupations plus fortes qu’avant le début de la crise sanitaire ? ».

Les Français répondent oui à 61% à celle-ci.

Après deux confinements (le sondage a été réalisé avant l’annonce du troisième), un an de restrictions des libertés, de limitation à l’accès à la nature et aux voyages, les Français ont tout naturellement besoin de NATURE, et les privations subies l’ont mis cruellement en exergue…

À notre humble avis, la réponse à cette question ne concerne pas que le voyage, mais souligne juste le fait que cette crise a permis à beaucoup de redécouvrir certaines valeurs essentielles, dont celle de son intégration à l’environnement extérieur et d’appréhender l’importance de reconstituer le lien rompu avec la nature dans un mode de vie ayant entraîné une déconnexion d’avec celle-ci au détriment de son équilibre psychique et de sa santé en général.

La préserver devient donc un enjeu…, pour elle-même, ou pour l’homme ?

 

Troisième question :

« Parmi les critères suivants, quel est selon vous celui qui définit le mieux la notion de « tourisme responsable » ?

Ce à quoi les Français répondent en premier à :

34% : Le respect du mode de vie des habitants locaux,

29% :  La réduction de votre éventuel impact personnel négatif sur l’environnement,

19% : La consommation de produits locaux sur place,

13% : L’assurance d’un partage équitable des retombées économiques du tourisme.

 

Commentaires : Ces résultats sont désolants à bien des égards…

Ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’ils découlent à n’en pas douter d’une information tronquée sur le sujet depuis toujours.

Information, qui, comme d’habitude en France est dirigée par des lobbies ayant pour intérêt de développer ce nouveau « marché » à des fins lucratives. (L’article de Madame Figaro cité précédemment en constitue un parfait exemple).

Respecter le mode de vie des habitants locaux ne signifie pas « ne pas leur nuire au cours de ses voyages »…

Par exemple, il est tout à fait possible de respecter dans son esprit les populations locales et ne pas se rendre compte qu’en achetant des services ou des produits trois fois plus cher que l’autochtone, c’est toute l’économie locale qui est déstabilisée, et que cela appauvrit considérablement et exclut davantage les habitants qui n’ont pas accès aux revenus du tourisme.

Par conséquent, d’un point de vue social, c’est l’assurance d’un partage équitable des retombées économiques du tourisme qui est primordial en matière de tourisme responsable… (arrivé en dernier dans les réponses obtenues).

Et ensuite vient effectivement l’analyse des conséquences de ses propres choix de séjours sur les territoires concernés, tant d’un point de vue environnemental que social, ce qui ramène au point précédemment évoqué.

Quant à la consommation des produits locaux sur place, elle est totalement dépendante de la production…

Vouloir consommer des produits locaux en Tarentaise (8 millions de touristes par an avant la crise), se résume à ne se nourrir que de Beaufort…

 

Quatrième question :

« Selon vous, les plateformes en ligne dédiées aux voyages devraient-elles proposer une sélection spécifique de séjours « responsables » et respectueux de l’environnement ? ».

Nous voici de nouveau face à une question orientée. En clair, il n’existerait pas de plateformes en ligne dédiées au tourisme responsable…

En tant que spécialiste de ces questions depuis près de 15 ans, avoir écrit plusieurs ouvrages développant ces sujets, créé l’une de ces « plateformes » - il en existe d’autres…, une association regroupant 6 000 voyageurs, et trois événements majeurs, on se demande bien ce qu’il faut encore faire pour atteindre les hautes sphères…

Alors si les Français répondent oui à 85%, ce n’est certainement pas pour qu’on leur serve des plateformes de greenwashing, ce qui se profile derrière cette question…

 

Cinquième question

« Est-ce le rôle des professionnels du tourisme de s’occuper de la réduction des impacts de leurs activités sur l’environnement ? ».

Les Français répondent oui à 80%, alors que les voyages organisés représentent moins de 15% des séjours…

Alors, oui, les professionnels du tourisme, lorsqu’ils conçoivent des séjours responsables doivent rendre « responsables » chacun des maillons de la chaîne, et pas comme c’est trop souvent le cas, tenter de verdir des offres classiques

Ce qui n’exonère en rien chaque voyageur individuel d’en faire de même…

Sixième question :

« Seriez-vous favorable ou défavorable à l’instauration de quotas ou de restriction de visite à certains sites emblématiques pour les touristes afin de préserver leur environnement ? ».

Les Français répondent oui à 88%.

Pour un expert en écotourisme et tourisme responsable, ce chiffre ne révèle que deux choses :

  • Tout en étant de forts consommateurs de guides de voyages, de documentation touristique, d’itinéraires en ligne, les Français ne supportent plus les sur-fréquentations… générées pour la plupart par ces publications…
  • La France n’a jamais su appliquer les techniques pourtant bien connues ailleurs utilisées pour gérer les flux touristiques.

Ce que l’on appelle dans le jargon de la mise en tourisme d’un territoire, la répartition spatiale et temporelle des flux.

Une gouvernance inappropriée des territoires en constitue l’élément clef…

Par conséquent, instaurer des quotas ou des restrictions ne devrait être une solution que pour de rares endroits où la répartition des flux n’est pas suffisante… Pas là où aucune gestion n’a jamais été mise en œuvre…

Depuis des années, nous sommes les seuls à dénoncer la communication touristique qui conduit à ces sur-fréquentations, ainsi que les programmes des croisiéristes qui sont inadaptés à la capacité d’accueil de nombreux territoires qu’ils utilisent…

Commençons donc par s’occuper de cela avant de vouloir tout interdire…

 

Question 7 :

« Seriez-vous prêt à choisir vos vols et destinations de voyage en fonction des émissions et impact carbone des avions ? ».

55% des Français ont répondu oui, dont 60% pour la France, dans le pays du TGV et de lignes de chemin de fer que l’on abandonne depuis des années au profit des compagnies aériennes low-cost, et des sociétés privées d’autoroutes

Il est bien difficile de donner une cohérence à cette question, qui une fois de plus n’est pas celle qu’il aurait été préférable de poser, la voici :

« Êtes-vous prêt à renoncer à l’avion pour vos voyages, tant que l’industrie aéronautique n’aura pas mis au point des avions réellement non polluants ? ».

 

Conclusion

Ce sondage ne nous apprend rien, si ce n’est la déconnexion existant entre les réalités de terrain vécues par les acteurs du secteur et les têtes « pensantes » dont la préoccupation principale est de chercher à faire des bénéfices à partir d’une activité « en vogue » qu’ils tentent de rendre rentable en dépit de ses nombreuses inclinations vers la « décroissance »…, ce gros mot devenu aujourd’hui une réalité eu égard à la crise.

Une décroissance vécue comme un calvaire par beaucoup, n’ayant rien à voir avec une décroissance heureuse et redistributrice qu’un tourisme plus vertueux pourrait porter…

 

Copyright photos : Jean-Pierre Lamic - Sardaigne en liberté - Mercadona - Telegramme.info - infographiste indépendant

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Voici le lien vers notre cagnotte en ligne

Et ici l’article qui vous en dit plus à ce sujet

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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