Un observatoire national du tourisme « durable » quésako ?

Un article récemment publié dans Voyageons Autrement intitulé « On veut un observatoire » réclame avec moult arguments la (re) création d’un Observatoire national du tourisme, supprimé en son temps, comme bien d’autres institutions, sous l’ère Nicolas Sarkozy.

Au Média du voyage durable, nous déplorons surtout la disparition de l’Institut Français de l’Environnement (IFEN) : un « pôle français de l’Agence Européenne de l’Environnement, un Institut qui procédait en toute indépendance aux analyses, expertises, audits, recueils de données nécessaires dans l’ensemble du domaine de l’environnement, ainsi qu’à leur diffusion vers le grand public et les pouvoirs publics ».

Le gouvernement Fillon l’acheva totalement en 2008, quelques jours seulement après le discours enflammé de Nicolas Sarkozy sur le « Grenelle de l’Environnement » au Zénith d’Orléans.

Et comme l’environnement, paraît-il, constitue l’une des composantes essentielles du « durable », cet outil manque cruellement aujourd’hui à toute forme de politique se voulant durable, et notamment en matière de tourisme...

Alors au Média du voyage durable, nous disons « Je veux un Institut National de l’Environnement indépendant » !, ce qui nous semble être beaucoup plus important qu’un observatoire national du tourisme, dans un premier temps.

 

Un observatoire qui piloterait quoi ?

Dans cet article, il est dit : « Un observatoire est aussi indispensable pour piloter l’activité touristique qu’un altimètre l’est au pilote d’un avion ».

Naïvement, sans doute, nous pensions que celui qui devrait être en charge de piloter une politique touristique (il faudrait qu’elle existe) serait un ministre, reconnu en tant que tel, et pas, comme c’est le cas depuis 2020 par un secrétaire d'État chargé du Tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie qui précédemment était un Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie…

Tout aussi naïvement, nous pensions qu’un tel poste devrait incomber à une personne ayant une importante expérience en ce domaine, un quelconque vécu dans ce milieu et sur le terrain…

Notre secrétaire d’État a été scout (son unique expérience de terrain…), puis militaire affecté au Bureau des relations internationales de l’État-Major de l’Armée de Terre (EMAT), chargé de l’organisation des visites des hautes autorités étrangères, avant de poursuivre ses études (École supérieure des sciences économiques et commerciales) en alternance au sein d’IBM jusqu’en 2002.

Élu conseiller du 4e arrondissement de Paris en 2001, aux côtés de Jean Tiberi, il initie alors sa carrière politique d’obédience LR (Les Républicains).

De tourisme, son curriculum vitae n’en fait aucune mention… à moins que l’on considère l’organisation des visites des hautes autorités étrangères comme une forme de tourisme…, certainement très éloignée de la conception du durable.

Alors, si pour l’auteur de l’article cité en référence, l’absence d’un observatoire national du tourisme est une catastrophe, pour le Média du voyage durable, la catastrophe est ailleurs : l’absence de connaissance par les autorités des secteurs qu’elles sont supposées diriger, qui ne peut conduire qu’à l’incompétence et au sur-place constaté depuis des années.

Et avant qu’un hypothétique observatoire national du tourisme ait vu le jour, et effectué le travail que l’on serait en droit d’attendre de lui, combien de secrétaires d’État ne connaissant du secteur touristique que leurs propres vacances se seront-ils succédé au sein des gouvernements à venir ?

Encore plus naïvement, nous pensions que le rôle d’un observatoire était d’ « observer » en toute indépendance, et qu’à partir de conclusions réalisées par de véritables spécialistes du secteur, il devenait possible pour les gouvernements en place de piloter une véritable politique.

Alors un observatoire qui piloterait l’activité touristique…

Quoi qu’il en soit, avant que tout cela ne soit mis en place, et opérationnel, la France devrait continuer à prendre du retard sur tous les pays qui avancent… (En référence à l’un de nos derniers articles qui l’explique à l’aide d’exemples concrets).

À moins que l’Affaire du siècle n’obtienne une victoire historique suite à l’audience qui a eu lieu le jeudi 14 janvier au tribunal administratif de Paris et n’oblige les futurs décideurs à enfin agir concrètement.

Un observatoire durable quésako ?

Au cours de l’article « on veut un observatoire », se trouve inséré un paragraphe intitulé : « Un observatoire, oui, mais durable ! ».

De notre côté, il nous semble qu’un observatoire a pour fonction celle d’observer ; un comité d’experts celle d’analyser les données mises à sa disposition, qui peuvent provenir d’observatoires, mais pas uniquement.

Les expériences de terrain demeurent prépondérantes dans la connaissance d’un milieu quel qu’il soit.

De plus, l’observatoire faisant réellement défaut pour pouvoir collecter des données sur les atteintes à l’environnement générées par les divers secteurs d’activité, dont le tourisme qui en produit une part importante, est l’ex IFEN, comme évoqué ci-dessus.

Et pour la mise en œuvre d’une politique touristique durable, ce qui manque cruellement est une connaissance du terrain des politiques en charge de piloter le pays, un découpage territorial cohérent, un cabinet d’experts indépendants du secteur privé, et un lien direct entre les décideurs et ce Comité scientifique.

Comité dont nous réclamons la création depuis le mois de mai dernier au moyen de cette pétition. Et experts avec lesquels nous sommes en relation depuis l’organisation des deux Forums Nationaux du Tourisme Responsable et le Salon international de l’écotourisme, du voyage solidaire et participatif.

Quant au concept « d’observatoire durable », il ne peut provenir que d’une vision marketing, sans lien direct avec la fonction première d’un observatoire.

Car comme nous l’avons déjà écrit maintes fois, les modes de gouvernance découlant du découpage administratif de notre pays sont obsolètes, comparés à ceux de ses voisins directs : Suisse, Allemagne, Italie, Espagne, qui s’appuient tous sur des cantons, provinces ou Landers ayant une véritable indépendance, s’appuyant sur une réelle entité géographique et humaine, une histoire et une culture communes.

Il est donc prioritaire et urgent de revoir notre organisation territoriale, et administrative, après l’occasion ratée par la mandature Hollande avec la création de Régions composées d’un agglomérat de départements sans rapport entre eux.

Selon le Média du voyage durable, la priorité des priorités en matière de tourisme durable est là. Tout le reste ne constituera que du bricolage.

La gestion de la crise sanitaire actuelle en France, l’illustre pourtant parfaitement…, alors qu’attend-on pour le réclamer à l’unisson ?

Nous voulons des Provinces ou des Régions cohérentes et indépendantes, gérées par des personnes connaissant leur territoire et leurs habitants, pas par des politiques sortis des grandes écoles dont les uniques préoccupations sont de satisfaire leur électorat et leurs propres carrières !

 

Les saisonniers ne font pas partie du secteur touristique ! Ah bon !

L’auteur de l’article publié dans Voyageons autrement affirme au fil de sa démonstration, ceci :

« Pour preuve : quelles professions sont-elles purement touristiques ? … À part les métiers de guide ou d’excursionniste, aucune !

Hôtellerie, transports, restauration y sont certes mêlées de près, mais pas uniquement…

De la même façon : le boulanger, la caissière et nombre de saisonniers appelés en renfort l’été ne sont aucunement des acteurs du tourisme, quand bien même ils dépendent directement de lui.

L’activité touristique dans son ensemble est donc entièrement pétrie d’autres pans économiques : transports, hébergement, commerces, loisirs… ».

Tout cela se résume en une phrase : Le tourisme est une activité transversale qui fait appel à pratiquement tous les corps de métier. Ainsi, le sculpteur sur bois du Kenya ou d’ailleurs n’a-t-il pas toujours conscience qu’il est un acteur du tourisme par le fait que toute sa production est vendue aux touristes.

Pourtant lorsqu’il n’y a plus de tourisme, il ne peut plus vivre de son activité. Et dans ce cas, si la seule activité faisant vivre le territoire où il se trouve est le tourisme, il meurt ou il doit s’exiler. C’est une autre leçon que nous enseigne la crise actuelle.

Les chauffeurs de bus ou de taxis, qui montent les skieurs en station sont des acteurs à part entière du tourisme hivernal, car Monsieur, les saisonniers sont aussi appelés en renfort l’hiver, et d’eux dépend toute l’activité touristique des sports d’hiver !

Employés des remontées mécaniques (certains sont employés à l’année), pisteurs secouristes, moniteurs de ski, accompagnateurs, guides de haute montagne, pilotes de parapentes, employés des hôtels ou résidences de tourisme (fermés aux intersaisons), employés des bars ou commerces de proximité n’ouvrant qu’en saison touristique, loueurs de matériel (VTT, skis, etc.), gendarmes du PGHM, personnel médical et hospitalier des zones touristiques, tous sont DES ACTEURS À PART ENTIÈRE DU TOURISME, car ils ne vivent que de cette activité, comme moi-même, saisonnier ou intermittent du secteur depuis 40 ans !

Sans eux, l’activité touristique n’existerait pas, et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui fait que le tourisme est concentré et non diffus, car ailleurs, sur d’autres territoires, l’ensemble des services utiles, et des personnels indispensables fait défaut.

Et aujourd’hui, avec la crise liée à la Covid19, tous ces saisonniers indispensables à l’activité touristique sont jetés dans la précarité !

Voilà ce que votre observatoire pourrait observer depuis des mois s’il existait ! …

Copyright image : Aide sociale.fr

L’observatoire du tourisme : un outil de gouvernance performant ?

Voici ce qu’affirme sur ce point l’auteur de cet article :

« En un mot : après avoir inventé les outils de gouvernance d’un tourisme performant, nous les avons partagés, puis jetés à la poubelle ; la France étant aujourd’hui l’une des seules grandes destinations touristiques à vivre (mal) sans observatoire ».

Nous l’avons vu, un observatoire observe et n’a pas plus vocation à gouverner qu’à être durable.

Par conséquent, il ne peut constituer en soi un quelconque mode de gouvernance.

Seules ses observations peuvent aider à une meilleure gouvernance pour peu qu’elles soient utilisées par des décideurs compétents.

Quant à parler de mode de gouvernance performant en France, vous connaissez déjà notre avis sur la question !

Enfin, comme souvent, cette fausse « bonne idée » a certainement pour objectif de placer quelques pions à la tête de cet observatoire. Des noms ? Nous savons à qui nous pensons !

Images ci-dessous : un modèle d'informations à Tenerife

 

Et en Espagne ?

Ce pays où je vis depuis le mois de septembre, mais que j’ai sillonné (à pied) pendant 3 ans entre 2012 et 2015 demeure mon modèle proche en matière de gouvernance (il en existe d’autres mais qui sont difficilement comparables avec la France car situés sur d’autres continents).

Si en France, il existe une profonde scission entre les acteurs se référant au « tourisme durable » à des fins de marketing et d’autres engagés réellement sur le terrain (cet article en constitue un exemple), en Espagne, tout le monde tire dans le même sens, ce qui favorise une mise en œuvre apaisée d’actions concrètes.

Ainsi, c’est à l’initiative d’opérateurs privés, dont certains sont clairement apparentés au tourisme dit « de masse », que fut créé en 2018 Observa Tur, sous leur impulsion.

Ils ont été rejoints depuis par d’autres voyagistes.

Ci-dessous l’annonce réalisée à l’époque :

« Quelques-unes des principales entreprises du secteur touristique national –Amadeus, Beroni, Carrefour Viajes, Iberia, Movelia, ReiniziaT, Renfe SNCF et l’Asociación Nacional de Agencias de Viaje (UNAV) – se sont unies pour créer l’Observatorio Nacional del Turismo Emisor, ObservaTUR, le premier instrument de suivi et conduite spécialisée en tourisme émetteur ».

Par conséquent, mes amis Espagnols ont compris que ce qui importe pour un observatoire : connaître le ressenti, les goûts et les aspirations des touristes locaux, afin d’utiliser ces données pour les orienter vers les pratiques touristiques adaptées à leurs attentes, parmi lesquelles les formes d’écotourisme et de tourisme responsable très développées et organisées au sein de ce pays…

Remarquez la différence de sémantique : Observatoire national du tourisme émetteur, pas durable !

Pourtant cet observatoire devrait permettre d’orienter les personnes les plus sensibles à la préservation de l’environnement vers un tourisme correspondant à leurs attentes, et ainsi, d’opérer une réelle répartition des flux touristiques au bénéfice de micro-territoires qui en bénéficieront. Ceci permettant à des hébergeurs, guides locaux, ou commerces de vivre de cette micro-activité.

Et si l’Espagne, avec officiellement moins de visiteurs étrangers par an que la France, en tire d’ordinaire plus de revenus, c’est en partie pour cette raison : l’argent des touristes permet de faire vivre de nombreux territoires, ce qui est particulièrement vérifiable dans les îles composant les archipels des Baléares ou des Canaries.

Chez nous, 80% des revenus du tourisme repartent enrichir les grands groupes étrangers, car nous avons vendu une grande partie de nos territoires touristiques à des structures exogènes…, nos hôtels à des étrangers, nos Club Med à des investisseurs chinois, etc.

Alors quand dans l’article cité en référence, on semble imputer la plus faible rentabilité du tourisme en France par rapport à l’Espagne au fait que l’on comptabilise des faux touristes : les Belges, Hollandais ou autres traversant notre pays pour se rendre en Espagne, ceci nous semble être bien anecdotique…

En outre, sur cette question, on peut se poser la question de ce que pourrait apporter de plus un observatoire national si l’on continue à ne pas savoir qui dort où dans notre pays !

En Italie, comme en Espagne, vous êtes enregistré dès lors que vous passez une nuitée quelque-part, ce qui évite de comptabiliser comme touristes les personnes qui ne séjournent pas plus de 24 heures sur leurs territoires…

Donc, commençons déjà par instaurer cette obligation, comme chez nos voisins…

 

Concernant les stations de montagne

L’article de Voyageons autrement dénonce « la politique » de nos gouvernements successifs concernant le développement des sports d’hiver, basé sur toujours plus de visiteurs.

Or, depuis la Loi montagne de 1985 qui créa les délégations de service public pour la gestion des stations de ski, il n’existe plus de politique nationale sur ce sujet !

La France a vendu ses stations de ski les plus rentables à des organismes privés, ou à la Compagnie des Alpes, filiale de la Caisse de dépôt et de consignation, dont le principal actionnaire est l’État, mais avec une seule préoccupation : faire du chiffre et enrichir leurs actionnaires. Ceci en vertu des principes bien connus développés par le capitalisme.

Alors, l’affirmation suivante se trouve être sans fondement : « Et développer toujours davantage les stations de montagne (autre vitrine du pays). Pourquoi les stations de montagne ? « Mais parce qu’1 € investi y rapporte 7€ ! » vous répondra-t-on avec aplomb. Seul petit problème : cette donnée est définitivement fausse, non fondée ».

 

Pourquoi la montagne ?

Eh bien parce qu’elle est gérée par des intérêts capitalistiques privés et qu’elle échappe donc à toute gestion territoriale sensée, organisée et maîtrisée, et que cela permet d’offrir d’immenses profits aux actionnaires de la Compagnie des Alpes et de Fosun, le Fonds d’investissement ayant racheté le Club Med…, qui, récemment, s’intéressait à la Compagnie des Alpes…

Et parce que la Région Auvergne-Rhône-Alpes, les associations des élus de montagne, et tous les lobbies liés aux sports d’hiver, sont associés dans une gestion lucrative de nos montagnes.

Alors, ce n’est pas un observatoire, même durable qui devrait pouvoir changer cet état de fait, ni agir sur une quelconque gouvernance plus appropriée.

Seule la reprise en main de l’aménagement de nos territoires par le public, au bénéfice de tous les Français et pas de quelques entreprises ou fonds de pension, et la création d’entités territoriales adaptées, comme chez nos voisins, pourront faire aller la France vers un tourisme plus « durable ».

Ce n’est pas être pessimiste que de l’affirmer, mais réaliste, et comme en Espagne, nous devrions être tous à l’unisson sur cette question, avant de penser à créer un organisme qui ne pourra s’avérer qu’inutile dans le contexte qui est malheureusement le nôtre en France !

Copyrighs photos : Jean-Pierre Lamic

≠TourismeDurable

≠SaisonniersEnColere

≠ObservatoireTourisme

 

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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