Est-ce bien le moment de jeter le doute sur la probité des moniteurs de ski ?

L’ensemble de la presse nationale vient de se jeter sur un bel os à ronger, suite à un article de Mediapart, que l’on a connu plus inspiré, et que nous aurions préféré voir s’inquiéter du sort réservé aux saisonniers depuis un an...

En effet, s’il existe des personnes particulièrement touchées par la crise de la Covid19, ce sont bien les saisonniers, pris en otage par le gouvernement depuis des mois, comme le Media du voyage durable l’a dénoncé récemment, et comme le criait dans un élan de colère la championne olympique Marion Rolland.

Alors pour comprendre les accusations émanant du SIM (Syndicat Interprofessionnel de la Montagne), qui semble avoir trouvé un beau prétexte pour se mettre en avant et s’en prendre à l’un des trois syndicats historiques représentant le milieu de la montagne avant sa création (celle-ci découle d’un combat contre ces derniers), il convient avant tout de rappeler que les ESF (Écoles de Ski Français) ne sont pas des entreprises, mais des Syndicats locaux, indépendants les uns des autres et dont le statut juridique est celui de la Société civile de moyens.

 

Qu’est ce qu’une société civile de moyens ?

La société civile de moyens (SCM) est une structure juridique réservée aux professions libérales et dont l'objet est la fourniture de moyens (personnel, matériel) à ses membres, destinés à faciliter l'exercice de leur profession. Cette société ne permet pas l'exercice d'une activité.

La création d'une société civile de moyens est sans incidence sur la situation juridique de ses membres. Les associés mettent en commun certains moyens d'exploitation de leur activité afin d'en réduire le coût.

Ils conservent une totale indépendance au titre de leur activité professionnelle : il n'y a ni partage de bénéfice ni clientèle commune mais seulement contribution aux frais communs.

Donc, pour résumer, une ESF ne fait pas de bénéfices.  Ce qui, à l'instar des associations n'empêche nullement la possibilité de disposer de réserves financières pour faire face aux dépenses à venir, qu'elles soient de l'ordre du prévisible ou de l'imprévu...

Elle regroupe des moniteurs de ski indépendants, qui sont des entreprises individuelles disposant d’un numéro SIRET, déclarés à l’URSSAF et à la CIPAV (Caisse de retraite).

Ils ont le statut d’enseignants (comme les accompagnateurs), et, à ce titre ne sont pas soumis à la TVA.

Quant aux revenus des étoiles, ils alimentent un fonds de solidarité géré au moyen d’une comptabilité à part, dont le but est de proposer une indemnisation minimale aux moniteurs se blessant durant la saison. Là encore, ils ne génèrent pas de bénéfices.

 

Concrètement :

Si d’ordinaire, je n’aime pas généraliser à partir de cas personnels, et encore moins du mien, il me semble qu’il est important d’exposer, pour une fois ma propre situation, pour que chacun puisse comprendre concrètement quel est le sujet, et surtout parce qu’il me semble être très révélateur de la situation actuelle de nombreux collègues moniteurs, mais également accompagnateurs en montagne (certains travaillent pour des ESF – c’est mon cas).

Le 15- mars 2020, un dimanche, à 8h30 du matin, nous apprenions que notre ESF fermait, et que les remontées mécaniques stopperaient leur fonctionnement dès le lendemain.

Nous étions montés en station pour travailler, comme d’habitude, et de nouveaux clients s’étaient encore inscrits la veille…, d'autres sortaient tout juste de leur train, tandis que de nombreux Britaniques ne quittèrent les aéroports de Grenoble et Chambéry que pour retourner d'où ils venaient...

Les moniteurs de ski qui habitent sur place sont rentrés chez eux, les autres (environ la moitié – dont je fais partie), tentèrent de s’organiser.

Certains avaient loué leur appartement jusqu’à fin avril, payé des acomptes et le mois de mars dans son intégralité, etc.

Quant à moi, je vis dans un mobil-home depuis 15 ans en hiver, après avoir passé 17 ans dans un camping-car…, réalité du saisonnier… Bien que m’appartenant, il me coûte environ 2 400 euros par hiver, soit 600 euros par mois (la location du terrain vaut sur l’année), que je tente de rentabiliser en partie en le louant durant les deux mois d’été…

Ce sont ce que l’on appelle des frais de double résidence, qui concernent, par conséquent, tous les saisonniers venant de l’extérieur.

Donc, l’an dernier, en avril, j’ai réglé cette somme, et cette année, bien que je n'aie été présent que 6 semaines, j’ai déjà réglé à ce jour 1 800 euros d’acompte.

 

Comment fonctionne le règlement des honoraires aux moniteurs par les ESF ?

Un moniteur travaille à l’heure. L’ESF distribue ces heures selon un ordre tenant compte de l’avancement du diplôme (certains sont stagiaires), et de l’ancienneté.

Elles sont payées sous forme d’honoraires tous les 15 jours.

Les ESF doivent provisionner les frais annuels : location des locaux, remboursement d’emprunts ou de matériel, salaires des secrétaires, honoraires des directeurs, etc.

Selon le chiffre d’affaire global réalisé durant l’hiver, en fin de saison, il s’effectue un réajustement, c’est-à-dire que les ESF versent aux moniteurs une partie des « bénéfices » réajustés en fonction du nombre d’heures effectuées par chacun.

Afin de se prémunir d’imprévus, et après avoir engagé les frais pour l’hiver suivant, au moment de la clôture des comptes annuels en octobre, il s’effectue un second réajustement, puisque l’ESF ne réalise pas de gains, contrairement aux écoles de ski privées, généralement membres de l’ESI (Écoles de Ski Internationales) ou d’Évolution 2, entreprise d’Outdoor balayant un large spectre d’activités, dont un grand nombre qui sont soumises à TVA.

Il convient de s’étonner donc que l’opprobre jetée sur les moniteurs de ski suite à l'article publié par Mediapart ne concerne que les ESF, seul groupement de moniteurs de ski à ne pas réaliser de bénéfices…

D’autant que le système propre aux ESF pénalise largement les moniteurs appartenant à ce groupement puisqu’ils ne peuvent prétendre au Fonds de solidarité sur l’ensemble de leurs honoraires en raison des réajustements de sommes importantes opérés en avril ou mai…
 

Concernant le Fonds de solidarité.

En avril dernier, comme la plupart de mes collègues, j’ai touché le Fonds de solidarité pour mars, d’un montant de 1 500 euros, car les honoraires de référence de mars 2019 étaient importants puisqu’ils couvraient une large part des vacances scolaires de février de cette année-là (versement le 9 mars, suivi d'un deuxième le 23).

Mars constitue la période de l’année aux rentrées d’argent les plus importantes, avec avril…

Notre pourcentage de perte pour le seul mois de mars était donc largement supérieur au seuil fixé par l’administration fiscale.

Pour cette raison, la première accusation relayée par Mediapart :

« Certaines ESF, comme celle de l’Alpes-d’Huez, auraient attendu, en mars 2020, de payer les moniteurs afin qu’ils déclarent un revenu égal à zéro sur les premiers mois de confinement, leur permettant ainsi de bénéficier de l’aide de 1.500 euros », est sans fondement…

Car même en déclarant les honoraires réellement perçus en mars 2020, tous devaient y avoir droit sans aucun problème…

En avril, ce fut la catastrophe.

Sur les 12 000 euros (brut) attendus pour mon réajustement, auxquels devaient s’ajouter les honoraires des 15 premiers jours d’avril (derniers jours de la saison pour nous qui incluaient Pâques - mais par pour les moniteurs des grandes stations d’altitude dont la fermeture est programmée pour début mai), je ne perçus que la moitié…, car le taux horaire usuel avait fortement chuté eu égard à la crise et aux provisions à réaliser pour payer les frais à venir !

Dans les stations d’altitude les pertes devaient donc être encore plus importantes pour les moniteurs de ski engagés sur la saison.

Le Fonds de solidarité perçu en avril (1 500 euros) correspondait à peine aux honoraires perdus sur la moitié du mois d’avril…, sans prise en compte d’un quelconque réajustement…

De plus, mon ESF soumise à d’innombrables remboursements des réservations et à un surcroit de travail occasionné pour cette raison ne nous versa le réajustement concernant la saison qu’en mai… ce qui fit perdre le Fonds de solidarité pour ce mois-là…, durant lequel, comme d'autres saisonniers,  j'encaisse traditionnellement des chèques de réservation pour l'été.

En tant que saisonnier, nous n’y avons pas eu droit non plus en juin, du moins pour ceux qui n'avaient pas perçu de revenus durant le même mois de l'année précédente…

 

Par conséquent :

Pour contredire totalement les affirmations contenues dans l'article incriminé, et les commentaires du représentant su SIM suite à la publication de cet article sur Facebook,  en avril 2020 les moniteurs de ski des ESF ont pû toucher 1 500 euros au titre du Fonds de solidarité quand leurs revenus sur le mois dépassaient les 10 000 euros et souvent plus pour la plupart des permanents (qui font l'intégralité de la saison)... Leurs pertes ont donc été colossales, rappelant que cet argent devait leur permettre de vivre huit mois de l'année à venir...

Ceci par le fait qu'au cours de ce dernier mois de l'hiver, c'est une partie importante de leurs revenus provenant des quatre ou cinq mois d'une saison qui leurs sont versés a posteriori.

Pour cette raison, les moniteurs membres des ESF ont donc été fortement pénalisés, notamment en comparaison avec leur collègues membres des autres groupements ou les indépendants..., c'est-à-dire que l'information diffusée dans cet article, reprise par de nombreux médias,  représente l'exact opposé de ce que fut la réalité pour une large majorité de "pulls rouges"...

Pour ma part, j’avais vendu mon appartement en janvier, et signé un compromis le même mois pour en racheter un autre en avril…

Il manquait plus de 8 000 euros à l’appel…, que je dus emprunter !

En octobre, face à l’impérieuse nécessité de rentrer de l’argent j’encaissais les revenus de location de mon mobil-home, ce qui me fit perdre une nouvelle fois le Fonds de solidarité que je n’ai pas demandé en été pour avoir travaillé à peu près normalement, du moins, juste au niveau de ma moyenne de revenus annuels de 2019.

En janvier, tout moniteur, et encore plus un double diplômé comme je le suis, doit verser l’adhésion aux syndicats (près de 600 euros pour les deux), à cela je dois encore rajouter 500 euros de caution, et de Responsabilité Civile pour mon agence de voyages qui n’a effectué aucun séjour en 2020, et 700 euros d’assurances incluant mon véhicule professionnel sans lequel je ne pourrais pas travailler, etc.

En outre, nous avons dû renoncer pour la plupart à souscrire une assurance pour le cas où nous nous blesserions…

 

Alors, pensez-vous que la situation d’un moniteur de ski soit enviable en ce moment ?

Une deuxième accusation totalement ubuesque !

« D’autres ESF auraient « décidé de faire travailler leurs moniteurs durant l’hiver 2020-2021 sans les rémunérer » afin qu’ils profitent des aides ».

 Je n’ai effectivement rien touché en janvier et février des heures effectuées durant cet hiver.

Tricherie ? Non, juste une réalité économique qui fait que notre ESF devait payer ses frais…, avait besoin de retrouver un minimum de trésorerie  avec les vacances de février, afin de pouvoir verser des honoraires en mars...

Les recettes globales perçues sur l’ensemble de l’activité réalisée par les quelques moniteurs présents pour les vacances de Noël et du Jour de l’an ne permettaient même pas de financer les seuls frais du mois de décembre !

Comment alors pouvoir verser des honoraires ?

Malheureusement, j’en suis le premier affecté, puisqu’accompagnateur en montagne, j’ai été celui qui ai travaillé le plus, principalement pour la communauté…, avec un emprunt personnel à rembourser…, et aucune perspective concernant les rentrées d’argent à venir…

Il ne manquerait plus que le Fonds de solidarité soit bloqué pour les moniteurs de ski suite à ces allégations mensongères, dont beaucoup attendent encore les aides de décembre (oui, nous avons tenté de travailler en décembre…), et janvier (mois totalement déserté par la clientèle…),

En janvier, je suis reparti ailleurs durant quatre semaines pour éviter d’avoir à payer plus de frais de double résidence…, et c'est d'ailleurs que j'écris ces lignes car pour nous la saison est d'ores et déjà terminée...

En janvier toujours, mes collègues n’ont accompagné que 3 sorties raquettes en un mois, alors, rémunérés ou pas, ils auraient tous eu droit au Fonds de solidarité…

Par conséquent, nous pouvons dire merci au SIM, à la CFDT, et à Mediapart, ainsi qu’à toute cette presse se délectant de son os à ronger, sans avoir pris la peine de plus s'informer…

La prochaine fois, évitez de jeter l’opprobre sur toute une profession (du moins celle regroupée au sein d’un organisme à but non lucratif), et vérifiez a minima vos dires, car on ne peut établir une généralité à partir de quelques rares fraudeurs, il doit bien y en avoir quelques-uns…

En outre, comme énoncé dans cet article, du fait de l’absurde choix gouvernemental d’indexer le Fonds de solidarité sur le chiffre d’affaire de 2019 – qui pour des agences de voyages, des bars, ou des restaurants incluent des achats ne représentant pas des bénéfices – les 30% de fraudes concernant les 15 milliards d’euros distribués sans contrôle, l’os à ronger se trouve à n’en pas douter ailleurs… (à comparer avec les quelque 400 millions d’euros - d'où provient cette somme? - concernant les moniteurs de ski annoncés par la presse).

Saisonniers et moniteurs en colère :

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Liberté d'expression et indépendance:

Pour être totalement indépendant, un média ne peut compter que sur les dons pour vivre...

Le gage pour que la liberté d’expression puisse continuer d’exister, tout comme le Média du voyage durable, passe donc par une participation, même minime des lecteurs qui profitent d’écrits libres de toute influence…

Alors, merci à tous ceux qui soutiendront ce travail d'information.

Voici le lien vers notre cagnotte en ligne

Et ici l’article qui vous en dit plus à ce sujet

 

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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