L’annonce d’une grève de la faim déclenchée à Tenerife par l’Association « Canarias Se Agota » a été relayée par le Figaro voyages.
Celle-ci appelle certaines précisions et plusieurs commentaires.
Le premier : Si les Canaries s’épuisent en raison du surtourisme, comment Le Figaro voyages justifie-t-il la publication de cette page de votre « agence de voyages » ? , qui vante les atouts de Tenerife et donne les clefs pour :
Y aller, puis où dormir, etc. :
« De nombreux vols directs sont disponibles sur EasyJet, Ryannair, Volotea et Transavia au départ de Paris (CDG et Orly) comme des grandes villes de France (Lille, Lyon, Marseille, Nice, Nantes, Toulouse et Bordeaux).
Vols hebdomadaires direct sur Transavia le mardi, vendredi, samedi et dimanche depuis Paris Orly à partir de 110 € AR ».
Photo ci-dessus : Jean-Pierre Lamic - Los Cristianos - Tenerife
Précisions
La presse locale se fait évidemment l’écho de cette action et du débat autour de cette question.
Que dit-elle ?
« Les Canaries affrontent un débat à propos du tourisme, son moteur économique » :
L’article précise en sous-titre « Bien que la Région soit leader du secteur touristique depuis plusieurs décades, ces dernières années on a commencé à parler de mesures relatives à la préservation de l’environnement naturel, comme la gestion des flux dans les zones protégées ou l’instauration d’écotaxes ».
L’article décrit un début d’affrontement entre le mécontentement d’une partie de la population, et de l’autre, la peur par le secteur touristique de voir se développer la tourismophobie.
Ce débat fait suite à un afflux de touristes « post Covid », après une année complète d’arrêt total de l’activité touristique.
Avec une forte progression d’entrées touristiques en 2023 (13 % de plus qu’en 2022) et un mois de février record (14% de plus que sur la même période de 2023), portant les recettes à 35 % du PIB, secteur qui représente 40 % des emplois des îles.
Depuis les années 80, plusieurs protestations ont déjà eu lieu, contre la ligne à haute tension proche du Teide, la prospection pétrolière au large de Lanzarote et Fuerteventura, ou le Port de Granadilla à Tenerife.
Plusieurs faits sont à l’origine du ressentiment d’une partie des habitants :
- L’engorgement des routes à Tenerife et Gran Canaria, dû en grande partie à des reliefs escarpés qui obligent à les contourner, et limitent le nombre de voies d’accès à certains lieux.
Pour y répondre, les autorités de Tenerife ont instauré la gratuité pour les résidents (y compris étrangers) dans tous les transports publics de l’île, très bien organisés.
- Le deuxième point de tension est l’augmentation des prix pour se loger dans les zones touristiques.
Ce qui ne constitue pas une spécificité propre aux îles Canaries…
- Vient ensuite l’afflux de touristes dans des zones qui n’étaient connues que par les résidents.
Les guides de voyages, catalogues, magazines, influenceurs, Internet et les réseaux sociaux, en sont évidemment responsables, comme les TO qui inondent le marché d’offres à bas coût de type autotours ou séjours en liberté.
Ce que le Media du voyage durable ne cesse de dénoncer.
À cela s’ajoute l’effet Airbnb, qui a tenté d’être régulé en 2014 ; tentative rejetée par le Tribunal suprême au titre de la Liberté de concurrence.
Et la possibilité d’établir une écotaxe pour chaque nuitée, soutenue par 3 partis sur 4, constituant le gouvernement des Canaries et rejetée jusqu’à présent.
Cependant, le débat n’est pas clos.
En outre un projet de loi propose de limiter à 10 % les constructions à usage résidentiel touristique, le double à la Gomera, El Hierro et la Palma qui disposent d’un parc hôtelier peu développé.
Photo ci-dessous Jean-Pierre Lamic - Complexe hôtelier à Los Cristianos
Où se trouve le surtourisme aux Canaries ?
Le problème des articles du type de celui publié par le Figaro voyages est qu’ils relayent des faits bien réels, spectaculaires si possible, sans les situer dans leur contexte, en généralisant ce qui concerne une part restreinte des territoires de l’archipel en question, sans discernement aucun.
Or, le journalisme n’a pas vocation à se limiter à de la communication…
Ce type de communication laisse à penser que les Baléares sont toutes concernées par le surtourisme quand il n’existe qu’à Ibiza et dans certaines stations Balnéaires de Majorque.
Deux des 4 îles et des onze îlots composant l’archipel uniquement…
De même beaucoup de Français associent le terme Costa Brava au surtourisme, quand il ne concerne que quelques stations balnéaires.
Il reste des endroits merveilleux dans la Costa Brava, dont le Parc National du Cap de Creus.
75,9 % de la surface des Canaries sont couverts de forêts…, soit 563.644 hectares.
El Hierro n’est pas concernée par le surtourisme, ni le relief, ni les routes, ni l’absence d’infrastructures, ne le permettent.
En revanche, L’écotourisme y est très bien organisé.
Sur les îles de la Palma et La Gomera, les prix de l’immobilier – le principal problème – peuvent être plus élevés dans les rares points d’accès aux ports et plages.
La principale station balnéaire de La Palma a été fermée plus de deux ans suite à l’éruption de 2021.
Elle n’a réouvert que partiellement en janvier 2024, donc là les prix n’ont pas flambé en raison du surtourisme, mais de la forte demande de la population locale, dont la maison a disparu sous les laves, ou interdite d’accès, et qui cherche à se reloger.
Certains habitants vivent encore dans des caravanes ou camping-cars eu égard au temps nécessaire pour percevoir les indemnisations de la part des compagnies d’assurances.
Photo ci-dessus : Jean-Pierre Lamic - éruption de l'automne 2021 à La Palma
Tenerife
À Tenerife, le surtourisme est principalement concentré au Sud de l’île : d’El Medano à Los Gigantes, zone desservie par l’aeropuerto Sur Reina Sofia qui concentre les vols low-cost à l’exception de Vueling qui dessert le Nord.
Le cœur de l’île est dominé par le Teide à 3 718 mètres d’altitude, géré par le Parc National éponyme, couvert par une quarantaine de sentiers, dont les trois-quarts sont peu fréquentés, et qui a instauré depuis longtemps un accès restreint à son sommet.
Ci-dessus : Photo Jean-Pierre Lamic - Puerto de la Cruz vu depuis les quartiers populaires
Au Teide, le tourisme de masse se concentre autour de l’accès au Téléphérique.
Il est question de n’autoriser l’accès au Parc national qu’en autocar très prochainement.
Il existe déjà depuis Puerto de la Cruz au Nord et Costa Adeje au Sud.
La pointe Nord, très escarpée et quasi inaccessible par endroits, est couverte en grande partie par une forêt humide, gérée par le Parc Naturel rural d’Anaga.
Là encore on y trouve des sentiers de randonnée encore peu fréquentés eu égard au relief et dénivelés.
Sur la Côte Nord, sont implantées quelques stations balnéaires de Punta Hidalgo à Puerto de la Cruz.
La population locale aime à se retrouver autour des nombreuses piscines naturelles établies de l’extrémité à l’autre de cette partie de l’île
Il existe des périodes de pointe lors des fêtes typiquement espagnoles ou locales, et des congés à l’international.
Les prix de l’immobilier augmentent au centre de ces stations et restent très bas dans les zones non touristiques.
Dans un quartier populaire agréable avec vue sur mer de Puerto de la Cruz (là où je vis 5 mois / an), il est encore possible d’acheter pour moins de 1 500 euros du mètre carré et se loger pour 300 à 500 euros / mois.
Les frais de gestion des immeubles varient de 15 euros / mois (sans ascenseur ni piscine) à une centaine d’euros, même dans des immeubles avec piscine.
Au marché, le kilo de bananes est à 79 centimes, la papaye à un peu plus d’un euro, le kilo de poisson et de porc (local) débute à 5,50 euros.
Ci-contre : Photo Jean-Pierre Lamic - La Orotava
Évidemment, ce ne sont pas les prix de la côte Sud…, mais ceux qui correspondent aux trois-quarts de l’île.
Néanmoins, il existe un gros problème de logement à la Orotava, capitale historique de l’île.
Il y manque cruellement des logements sociaux, comme à Neuilly…
Et il existe une forte pression pour le logement locatif tant annuel que saisonnier et touristique.
Néanmoins, tout autour on trouve des villages, accessibles facilement et rapidement en transport public, gratuitement.
Gran Canaria
Le surtourisme est ici encore concentré dans certaines stations balnéaires, le centre étant accidenté (Point cuminant 1 956 m).
L’île possède deux parcs naturels.
Ce sont principalement Las Palmas de Gran Canaria, où certains quartiers se disent saturés, au Nord, et Maspalomas, au Sud, qui sont concernées.
La seconde abrite une communauté importante de scandinaves, avec des vols en provenance du Nord de l’Europe.
Une large part sont des retraités, venus chercher un climat idéal, des prix plus bas que chez eux, et la plage au pied de dunes de sable.
Ici on trouve l’une des conséquences de ce type particulier de tourisme : une forme de recolonisation : Les restaurants affichent les menus dans des langues internationales, des dentistes, médecins, clubs, appartiennent à des membres de leur communauté qui vit principalement en autarcie pour ne pas pratiquer la langue locale de manière courante.
Sur la côte Sud de Tenerife, il s'agit aussi en grande partie de ce type de tourisme qui exaspère les populations locales.
Là, il concerne principalement des Allemands, et des Italiens.
Ci-dessous - photo Jean-Pierre Lamic - Canaries : Plus de 500 plantes endémiques - ici le tajinaste
Lanzarote
L’île est petite : 846 km2 et moins escarpée que les précédentes. Elle abrite un parc national très réglementé, mais n’évitant pas les concentrations, du fait que seules deux entrées existent.
Arecife est la ville la plus peuplée avec 65 000 habitants et une forte augmentation tandis que le surtourisme se concentre principalement au Sud de l’île de Puerto del Carmen à Playa blanca.
Mais de là, il irrigue assez facilement le cœur de l’île.
Le Cabildo : Conseil insulaire déclare un état proche de la saturation, et prépare des mesures.
Fuerteventura
Elle est l’île sur laquelle le surtourisme est le plus visible, notamment parce qu’il se trouve principalement en bord de mer, concentré sur la côte Est.
Les plages de sable blanc, les dunes, les possibilités de surf, kite-surf et planche à voile attirent les foules.
En 2023, l’île a battu tous ses records avec 2.274.859 touristes, pour une superficie totale (dont une large part centrale et Ouest est vide), de 1660 km2.
Cependant, avec de bons médiateurs, il est possible d'échapper partout au surtourisme...
Même à Fuerteventura, comme en vistant son formidable écomusée, participant ainsi à l'économie locale des villages reculés, et permettant aux habitants de rester vivre sur leurs territoires en lien avec leurs traditions..
Photo ci-dessous Jean-Pierre Lamic - Ecomuseo La Alcogida - Fuerteventura
Les hôtels flottants
Dans le traitement de ce sujet, il ne faut évidemment pas “oublier” les Hôtels flottants appartenant principalement à deux groupes allemands : TUI et Aida.
Le déversement de milliers de passagers en peu de temps sur des routes déjà encombrées, parfois étroites et sinueuses, dans des villes où tous les automobilistes s’arrêtent dès qu’un piéton aproche d’un passage piéton, crée évidemment de l’énervement pour ceux qui doivent aller au travail, à l’école ou à la crèche.
En outre, cette tourismophobie a certainement été exacerbée par le stationnement de 4 bateaux de croisière au large de Santa Cruz de Tenerife pendant près d’un an et demi pour éviter de payer des taxes portuaires.
Barrant le paysage, faisant tourner les chaloupes à vide, et utilisant ces navires comme hôtels dès que le tourisme a repris, laissant ceux de l’île à leur vacuité…
Ci-dessous : Photo Jean-Pierre Lamic - bateaux de croisière ancrés au large de Santa Cruz de Tenerife en 2020 et 2021
Conclusion :
Il existe bel et bien un surtourisme sur certaines des îles Canaries, principalement sur la côte Sud de Tenerife, en certains points de Gran Canaria, et Lanzarote, et une part importante de la partie habitée de Fuerteventura.
Le mouvement actuel concerne donc principalement ces zones, et se concentre autour du problème principal : l’accès au logement dans les zones touristiques et balnéaires…
En France, on connaît également cela, notamment pour les centaines de milliers de saisonniers incapables de se loger...
Ils devraient peut-être utiliser aussi des moyens de pression pour faire entendre leur cause...
En espérant que cette grève de la faim n'aura servi qu'à cela, et n'aura pas de conséquences dramatiques.
Alors, le Media du voyage durable soutient bien évidemment ce mouvement, du moins s’il cible les réels problèmes et récuse les amalgames facilités probablement par l’intitulé de l’association l’ayant médiatisé “Canarias se agota”.
Car les Canaries, la gestion plutôt réussie des parcs naturels et nationaux (La Palma, La Gomera), la gestion des flux au sommet du Teide, l’aménagement des itinéraires de randonnée, l’accès à des lieux écotouristiques, les écomusées, méritent mieux qu’une campagne de dénigrement non ciblée, et non expliquée.
Quant au Figaro voyages : Supprimez les Canaries de votre catalogue, si vous voulez être en accord avec ce que vous écrivez par ailleurs…
Le Media du voyage durable, vous informera à propos de l'action prévue le 20 avril 2024 dans plusieurs îles de l'Archipel.
Il sera représenté sur place...
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